Devoir de vigilance: le contentieux s’étoffe

Le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris s’est prononcé le 28 février dernier sur l’action de plusieurs associations relative au devoir vigilance de TotalEnergies.

Rappel du contexte

Pour mémoire, en 2019, sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance (2017), plusieurs associations, dont les Amis de la Terre, ont mis en demeure TotalEnergies d’exécuter ses obligations en matière de vigilance. Les associations dénonçaient les lacunes du plan de vigilance publié par TotalEnergies, s’agissant spécifiquement de la prise en compte des impacts humains et environnementaux de deux projets menés par une filiale de la société, en Ouganda et en Tanzanie.

Trois ans et plusieurs rebondissements procéduraux plus tard, le juge des référés du TJ de Paris a finalement rendu sa décision.

Devoir de vigilance: analyse de la décision du juge des référés

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris déclaré la demande des associations irrecevables :

  • Pour défaut de mise en demeure: trois ans après la demande initiale, et après des modifications successives de son plan de vigilance par TotalEnergies, c’est principalement le plan de vigilance de 2021 qui a été au cœur des débats. En conséquence, le juge a estimé que les débats ayant porté sur le plan de vigilance le plus récent, la mise en demeure initiale n’a plus un lien suffisant avec l’instance et l’audience qui a eu lieu en 2022

On peut alors s’interroger sur l’intérêt de limiter les débats à un plan qui a nécessairement été actualisé ? Cette approche est contraire à une bonne administration de la justice. En effet, puisque le juge des référés a en parallèle estimé que le sujet devait être tranché au fond, les procédures en la matière seront nécessairement longues. Pour limiter les risques d’irrecevabilité, les tiers auront tout intérêt à engager des actions relatives à chaque plan de vigilance pour espérer voir ses demandes jugées recevables, sans aucune assurance… Pourtant, pour le juge des référés, il importe peu que la longueur de la procédure ait eu pour conséquence une évolution des circonstances, le débat doit porté sur le contenu de la mise en demeure initiale. Entre irrecevabilité et non-lieu à statuer, cette approche n’est pas de bonne augure pour futures actions menées sur le même fondement.

  • En raison des limites de l’office du juge des référés: bien qu’il soit prévu par les textes sur le devoir de vigilance que le juge des référés puisse statuer sur cette matière, celui du TJ de Paris a estimé en l’espèce que les imprécisions de la loi ne lui permettaient pas de réaliser son contrôle « de l’évidence » et qu’une interprétation était nécessaire, renvoyant ainsi la balle au juge du fond.

Des avancées importantes sur les actions en justice en matière de plan de vigilance

Quelle que soit son issue finale, la procédure menée par les associations est déjà à l’origine de plusieurs avancées importantes :

  • les tribunaux judiciaires sont compétents pour se prononcer sur les demandes de non-commerçants sur le fondement du devoir de vigilance : c’en est donc fini des allers-retours entre les juridictions commerciales et civiles ;
  • l’exigence de mise en demeure préalable, strictement appréciée par le juge des référés dans son ordonnance, fige un contentieux par nature évolutif et revient à dénaturer les ambitions de la loi de 2017 ;
  • le devoir de vigilance impose des « buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise » : il est difficile de savoir si le juge critique ici le poids qui pèse sur les entreprises en raison de la mise en place du devoir de vigilance ou s’il estime les ambitions de la loi justifiée. Il semble logique que les sociétés concernées par le devoir de vigilance soient soumises à des exigences « monumentales » au regard des impacts que les activités des multinationales sont susceptibles de causer à travers le monde ;
  • si la voie du référé est ouverte en matière de devoir de vigilance, le juge de l’urgence reste peu enclin à se saisir de l’opportunité qui lui est donnée, notamment en raison des imprécisions de la loi, qui laissent une marge d’interprétation peu propice à l’intervention du « juge de l’évidence ».

La voie du référé a été privilégiée par les associations, ce qui a permis de limiter le délai pour obtenir une décision sur la compétence. Trois ans, c’est long, mais si un recours au fond avait été privilégié par les associations, alors il est probable que la toute première décision sur la compétence ne serait pas encore intervenue.

Une appréhension critiquable de la mise en demeure préalable

La principale critique de cette décision réside dans l’appréciation de la mise en demeure préalable par le juge des référés.

Celui-ci considère que le «  processus collaboratif du plan de vigilance » voulu par le législateur selon lui est concrétisée « par le mécanisme de la mise en demeure, préalable à la saisine du juge ». La mise en demeure aurait ainsi vocation à ouvrir le dialogue et « doit être suffisamment ferme et précise pour permettre d’identifier les manquements imputés au plan ».

Pourtant, si les plans successifs abordent les mêmes sujets et que les insuffisances persistent, alors la mise en demeure initiale devrait être considérée comme suffisante pour permettre à l’entreprise d’appréhender les lacunes de son plan de vigilance. Peu importe dans ce cas que des modifications aient été ultérieurement apportées et que le plan discuté devant le juge ne soit pas identique à celui en vigueur au moment de la mise en demeure.

Admettre le contraire, comme l’a fait ici le juge des référés, revient à inciter les grandes entreprises à modifier leurs plans de vigilance à la marge dès la première mise en demeure envoyée afin d’exciper des différences entre la mise en demeure initiale et les discussions menées devant le juge.

Cette première pierre à l’édifice de la jurisprudence sur le devoir de vigilance ouvre la voie à des contentieux qui, désormais, pourront être jugés plus rapidement grâce à la voie ouverte par les associations demanderesses et à leurs avocats, Louis Cofflard.

Nous attendons la suite avec impatience !

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