Biodiversité : contours de l’obligation de dépôt des données brutes

Un décret n°2022-939 du 27 juin 2022 est venu apporter des précisions sur les modalités de dépôt des données brutes en matière de biodiversité afin d’alimenter l’inventaire national du patrimoine naturel. L’occasion de faire le point sur cette obligation qui concerne en premier lieu les maîtres d’ouvrage publics et privés et, de manière indirecte, leurs bureaux d’études.

1. En quoi consiste cette obligation ?

La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 (pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages) a institué au sein du code de l’environnement un nouvel article L. 411-1 A portant sur la contribution des maîtres d’ouvrage publics et privés à l’inventaire national du patrimoine naturel.

Concrètement, cet article prévoit que les maîtres d’ouvrages « […] contribuent à cet inventaire, par la saisie ou, à défaut, par le versement des données brutes de biodiversité […] » acquises à l’occasion des études d’évaluation environnementale et des mesures de suivi des impacts environnementaux.

Les données brutes de biodiversité sont définies comme « les données d’observation de taxons, d’habitats d’espèces ou d’habitats naturels, recueillies par observation directe, par bibliographie ou par acquisition de données auprès d’organismes détenant des données existantes. »

2. Quels sont les débiteurs de cette obligation ?

Le texte de l’article L. 411-1 A du code de l’environnement est rédigé dans des termes larges puisqu’il identifie comme débiteurs de cette obligation les « maîtres d’ouvrage publics et privés », qu’il s’agisse de projets ou de plans / programmes.

Plus précisément, cet article vise les projets tels que définis par l’article L. 122-1 du code de l’environnement, disposition proposant une définition très large basée sur le droit communautaire et notamment la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.

Les plans et programmes concernés sont ceux visés par l’article L. 122-4 du code de l’environnement.

Le champ d’application des démarches auxquelles s’appliquent l’obligation de dépôt des données brutes de biodiversité est donc extrêmement large.

En outre, les données brutes devant être déposées au sein de l’inventaire national sont à la fois celles collectées à l’occasion des études d’évaluation environnementale réalisées préalablement à la décision d’autorisation, d’approbation ou de dérogation appliquée au projet, plan ou programme mais aussi à l’occasion des mesures de suivi des impacts environnementaux réalisées à la suite de cette décision.

3. Quand doivent être déposées les données ?

Le décret n°2022-930 du 27 juin 2022 vient précisément clarifier ce point. Ce texte modifie l’article D. 411-21-1 du code de l’environnement en indiquant que le dépôt des données brutes de biodiversité doit s’effectuer :

  • Pour les données acquises à l’occasion des études d’évaluation environnementale, avant le début de la procédure de participation du public si celle-ci est requise ou, en l’absence d’une telle procédure, avant la décision d’autorisation / d’approbation / de dérogation applicable au projet / plan / programme. L’idée est ainsi de permettre au public de consulter les données brutes en même temps que la procédure de participation, si celle-ci est mise en œuvre.
  • Pour les données collectées lors des mesures de suivi postérieures à la mise en œuvre du projet / plan / programme, dans un délai de 6 mois après l’achèvement de chaque campagne d’acquisition de ces données.

4. Quelles sont les modalités de dépôt ?

Le dépôt des données brutes s’effectue soit par saisie, soit par le versement de ces données, par le biais d’un téléservice crée par l’arrêté ministériel du 17 mai 2018 portant création d’un traitement de données à caractère personnel relatif au versement ou à la saisie de données brutes de biodiversité dénommé « dépôt légal de données de biodiversité ».

Ce téléservice est accessible via deux sites internet http://www.projets-environnement.fr ou http://www.naturefrance.fr.

Ainsi que l’indique l’article D. 411-21-1 du code de l’environnement, ces opérations doivent être effectuées selon des référentiels techniques approuvés par le Ministère chargé de l’environnement.

5. Comment sont utilisées les données brutes ?

Une fois versées au sein de l’inventaire national, les données brutes sont tout d’abord contrôlées, validées voire corrigées soit par les DREAL, soit par l’Office Français de la Biodiversité (OFB), ou en dernier lieu par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

Elles sont ensuite mises à disposition du public pendant une durée de 30 ans et réutilisables gratuitement, via le site internet du MNHN. A la date du 30 novembre 2016, l’inventaire national comprenait près de 40 millions de données sur les espèces (Communiqué de presse du Ministère de l’environnement du 30 novembre 2016).

On note cependant deux exceptions à ce principe de libre disposition des données brutes, instituées par l’article D. 411-21-3 du code de l’environnement. Le texte prévoit ainsi un premier cas de restriction de la communication dans le cas où les données figurent sur une liste arrêtée par le Préfet de Région, « au regard des nécessités de protection de l’environnement », cette dernière notion n’étant absolument pas définie. La seconde hypothèse de restriction concerne le cas où il existe un risque d’atteinte volontaire à l’espèce concernée par les données brutes.

Dans les deux cas, les données sont alors diffusées à une échelle ne permettant pas leur localisation précise.

6. Existe-t-il des sanctions en cas de non-respect de l’obligation ?

Ni le législateur ni le pouvoir réglementaire n’ont prévu de sanctions administratives ou pénales en cas de non-respect, par le maître d’ouvrage, de l’obligation de dépôt des données brutes.

Pour autant, cette nouvelle sujétion n’en semble pas moins porteuse de contentieux.

Tout d’abord, il n’est pas inenvisageable de considérer que des tiers, et notamment des associations de protection de l’environnement, seraient recevables à engager la responsabilité civile du maître d’ouvrage s’étant abstenu de fournir les données. Le préjudice pouvant résulter de l’impossibilité de consulter des informations censées devenir publiques et favoriser une meilleure connaissance de la biodiversité et sa préservation, selon l’objectif poursuivi par le législateur.

Ensuite, la mise en œuvre concrète de l’obligation nous semble également constituer une source potentielle de litiges. L’obligation légale de dépôt des données brutes pèse en effet sur le maître d’ouvrage, lequel n’est que rarement le collecteur de ces données. En effet, ce sont bien souvent des bureaux d’études mandatés par le maître d’ouvrage qui se chargent des opérations d’évaluation environnementale et de suivi des impacts, au cours desquelles les données sont recensées. Il paraît ainsi indispensable que cette question soit traitée au sein des relations contractuelles entre maîtres d’ouvrage et bureaux d’études, afin de définir notamment le statut et le devenir des données brutes collectées et le rôle de chaque acteur dans le processus de dépôt.

Articles recommandés