Mortalité des dauphins dans le Golfe de Gascogne : publication d’un arrêté ministériel a minima

Dénoncé depuis de nombreuses années par les associations, les captures accidentelles de dauphins par les engins de pêche dans le Golfe de Gascogne ne donnaient lieu à aucune intervention réglementaire. Destinataire d’un avis motivé de la Commission européenne en 2022 et d’une injonction du Conseil d’État en 2023, le pouvoir réglementaire s’est fendu d’un arrêté ministériel a minima le 24 octobre dernier.

Éléments de contexte

Le dauphin commun est une espèce strictement protégée, à l’instar des autres cétacés, par son inscription à l’annexe IV de la Directive « Habitats » du 21 mai 1992.

Les échouages de dauphins capturés accidentellement par des engins de pêche sont en forte augmentation depuis le début des années 1990. A l’hiver 2022, ce sont 1380 dauphins communs qui ont été retrouvés échoués sur les côtes, laissant présager un nombre bien plus important de spécimens ayant trouvé la mort dans les filets de pêche.

D’après l’IFREMER, entre 3.000 et 11.000 dauphins seraient en réalité capturés accidentellement chaque année dans le Golfe de Gascogne, et 680.000 au niveau européen, ce qui correspondrait à 0,6 à 2% de la population totale estimée.

L’enjeu est de taille : sans mesures efficaces, la disparition de l’espèce dans l’Atlantique Nord-Est est à craindre.

D’après l’observatoire Pelagis, la pêche au bar, merlans, merlus et maquereau, selon certaines techniques, est corrélée avec les zones de mortalité des dauphins communs durant les échouages multiples entre 2006 et 2019.

Les injonctions européenne et judiciaire

Face à l’inaction française, la Commission européenne lui a adressé un avis motivé, préalable à la saisine de la CJUE, le 15 juillet 2022. La France avait alors deux mois pour mettre en place « un système cohérent de surveillance des prises accessoires » et un contrôle effectif des navires de pêche ayant l’obligation d’utiliser des répulsifs acoustiques.

Le 20 mars 2023, le Conseil d’État s’est enfin saisi du sujet et a ordonné au gouvernement de prendre sous six mois des mesures complémentaires :

  • « de nature à réduire l’incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l’état de conservation de ces espèces » et
  • permettant d’estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés« .

Le Conseil d’État avait par ailleurs estimé que la dissuasion acoustique à l’aide de « pingers » n’étaient pas suffisamment efficaces. Il avait également relevé que les causes et la fréquence des captures étaient incertaines. En conséquence, il a insisté sur la nécessité de renforcer le dispositif de contrôle des captures afin de recueillir davantage d’informations afin de prendre les mesures de protection nécessaires.

La réaction de l’exécutif français

En réponse à cette injonction, au cours du mois de septembre 2023, le gouvernement avait soumis à consultation du public un projet d’arrêté visant à détailler les mesures qu’il entendait implémenter.

17.462 avis ont été déposés dont seuls 4 étaient favorables au projet d’arrêté. A l’exception de quelques modifications de forme, l’arrêté finalement adopté le 24 octobre dernier est identique au projet soumis à consultation.

Quelles sont les mesures prévues par l’arrêté ?

La principale mesure de l’arrêté est l’interdiction, entre 2024 et 2026, de l’usage de certains engins de pêche sur une période s’étendant du 22 janvier au 20 février.

Les engins visés sont les chaluts pélagiques à panneaux, les chaluts bœuf pélagiques, les chaluts bœuf de fond, les filets trémail et les filets maillant calé.

Cette interdiction se limite aux « navires de pêche d’une longueur hors tout supérieure ou égal à huit mètres, appartenant aux catégories de navigation numérotées de 1 à 4« .

Des exceptions sont toutefois prévues, pour l’année 2024 et pour certains navires équipés de certains dispositifs, à savoir principalement… les pingers !

Alors même que le Conseil d’État avait relevé l’insuffisante efficacité de ces dispositifs, les navires équipés pourront se prévaloir d’une exception à l’interdiction.

L’arrêté est ainsi composé d’un bref article contenant le principe d’interdiction suivi d’une succession d’articles détaillant les exceptions à celui-ci.

Si ces exceptions ont donné lieu à des critiques, la restriction du périmètre de l’interdiction au Golfe de Gascogne et de sa durée d’un mois ne paraît pas satisfaire aux injonctions reçues par le gouvernement.

Des mesures insuffisantes au regard des scénarios du CIEM

En effet, en 2020, le Comité international pour l’exploration de la mer (CIEM ou ICES en anglais), avait rendu un avis présentant les différents scénarios envisageables pour enrayer les captures accidentelles. Le CIEM avait relevé la pertinence des propositions formulées par les ONG sur le sujet.

Si les restrictions spatio-temporelles et l’usage de pingers avaient été avancées comme des mesures utiles, force est de constater que la teneur des recommandations aurait dû conduire à des mesures bien plus ambitieuses que celles finalement retenues par le gouvernement. Le CIEM envisageait en effet des fermetures de pêcheries de décembre à mars ainsi qu’entre les mois de juillet et août, couplés à des dispositifs acoustiques.

Si le CIEM a proposé des scénarios alternatifs, mis en perspective avec le risque de ne pas atteindre l’objectif, la gouvernement a retenu dans son arrêté l’un des scénarios les moins ambitieux. Le CIEM indiquait qu’une interdiction limitée à un mois associée à l’utilisation de pingers était trop courte et susceptible de manquer le pic de mortalité. Le risque de ne pas atteindre l’objectif de maintien de la population sauvage est considéré comme « élevé » par le CIEM.

Le CIEM a actualisé son avis en 2023 sans que la teneur n’en soit remise en cause.

Compte tenu de l’insuffisance des mesures adoptées, qui conduisent le gouvernement à se placer en échec dès l’élaboration du dispositif, les associations ont d’ores et déjà annoncé que l’arrêté ferait l’objet d’un nouveau recours.

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