Le Conseil d’Etat précise l’office du juge saisi de conclusions contre un arrêté d’enregistrement ICPE

Par un important avis contentieux du 10 novembre 2023, (CE, 10 novembre 2023, Société ENEDEL 7, n°474431), le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions sur les pouvoirs de régularisation conférés au juge administratif par l’article L. 181-18 du code de l’environnement.

Pour rappel, cette disposition prévoit :

« I.-Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, même après l’achèvement des travaux :

1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, limite à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demande à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ;

2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle ou de sursis à statuer est motivé.

II.-En cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l’autorisation environnementale, le juge détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation non viciées. »

En dépit de retouches effectuées par le législateur et de précédentes précisions apportées par le Conseil d’Etat, cette disposition continue de susciter un certain nombre d’interrogations quant à son étendue et à ses modalités concrètes d’application.

En témoigne cet avis rendu par le Conseil d’Etat, en réponse à une demande formée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Cette dernière était saisie de la légalité d’un arrêté préfectoral portant enregistrement ICPE, délivré au profit d’un projet d’unité de méthanisation, et s’interrogeait sur l’application à ce litige des pouvoirs octroyés au juge administratif par l’article L. 181-18 du code de l’environnement.

En principe, le juge administratif ne peut utiliser ces pouvoirs que lorsqu’il est saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, et non contre un arrêté portant enregistrement ou déclaration ICPE.

Mais l’avis du Conseil d’Etat vient brouiller cette frontière, en se prononçant au sujet d’une première hypothèse.

En effet, la Haute Assemblée précise que l’article L. 181-18 du code de l’environnement s’applique en présence d’un recours formé contre une décision d’enregistrement « dans le cas où le projet fait l’objet, en application du 7° du paragraphe I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ».

Pour comprendre cette solution, il convient de rappeler que l’autorisation environnementale est une autorisation « intégratrice » pouvant tenir lieu d’enregistrement, déclaration, absence d’opposition, agrément, etc. En d’autres termes, si un même projet nécessite à la fois la délivrance d’un arrêté portant enregistrement au titre des ICPE et une autorisation environnementale, l’autorisation environnementale délivrée tiendra lieu de l’enregistrement.

Dès lors, cette précision du Conseil d’Etat apparaît logique : si l’on considère que l’arrêté d’enregistrement est englobé au sein de l’autorisation environnementale, alors le juge doit pouvoir statuer sur sa légalité selon l’office propre aux autorisations environnementales.

Ensuite, la Haute Assemblée s’est prononcée à propos d’un deuxième cas de figure, à savoir lorsque le juge est saisi de conclusions contre une décision d’enregistrement ICPE, y compris lorsque la demande d’enregistrement a été instruite selon les règles de procédure prévues pour l’autorisation environnementale (procédure dite de « basculement »).

Dans cette hypothèse, selon le Conseil d’Etat, l’article L. 181-18 ne s’applique pas.

Pour autant – et c’est ici que l’avis se distingue par une certaine subtilité – le juge administratif pourra toujours utiliser des pouvoirs de régularisation, tirés non pas de l’article précité mais de son « office de juge de plein contentieux ».

Plus précisément, lorsqu’il statue sur la légalité d’un arrêté d’enregistrement ICPE, le juge pourra :

  • S’il estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet arrêté est susceptible d’être régularisée, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Le sursis à statuer ne peut intervenir qu’après avoir invité les parties à présenter leurs observations.
  • Limiter la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision.
  • Déterminer, lorsque l’annulation n’affecte qu’une partie seulement de la décision, s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties non viciées de cette décision.
  • Autoriser lui-même la poursuite de l’exploitation de l’installation en cause lorsqu’il a prononcé l’annulation, totale ou partielle, d’une décision relative à une ICPE soumise à enregistrement, et ce dans l’attente de la régularisation de sa situation par l’exploitant. Cette poursuite de l’installation pourra être assortie de prescriptions fixées par le juge.

Dans le cadre fixé par l’avis du Conseil d’Etat concernant les arrêtés portant enregistrement ICPE, le juge conserve la faculté d’user ou non de ces pouvoirs. A l’inverse, depuis la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, le juge de l’autorisation environnementale est en principe tenu de faire application des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, sauf à motiver sa décision de refus.

Par cet avis, le Conseil d’Etat ouvre ainsi la voie de la régularisation contentieuse à de nombreux autres projets, d’envergure plus modeste que ceux relevant de l’autorisation environnementale.

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