L’interruption de la tradition ou la mise à mort de la corrida

Le tribunal administratif de Montpellier a été saisi de deux requêtes en référé suspension les 17 et 19 avril derniers par les associations Comité Radicalement Anti-Corrida (CRAC) et Alliance anti-corrida, ainsi que des particuliers. Ceux-ci contestaient l’organisation dans les arènes de Pérols le 15 juillet prochain d’une « novillada », une corrida dans laquelle s’affrontent de jeunes toreros contre de jeunes taureaux, avec mise à mort de ces derniers.

L’article 521-1 du code pénal définit le délit de  maltraitance animale en ce sens « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ». Cet article prévoit une exception particulière pour les courses de taureaux et les combats de coqs, fondée sur le caractère traditionnel de ces pratiques : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée.».

Ainsi, si l’on apporte la preuve d’une « tradition locale ininterrompue », les corridas ne sont pas considérées comme un acte de maltraitance. C’est justement sur le fondement de l’inapplication de cette exception que le juge administratif a prononcé le 16 mai 2023 la suspension de la délibération du conseil municipal de Pérols. En effet, il a été considéré qu’en raison de l’absence d’organisation d’un tel spectacle dans la commune depuis vingt ans, l’exception liée à une tradition locale ininterrompue ne trouve plus à s’appliquer.

Pourtant, au début des années 2000, la jurisprudence avait encore tendance à pencher du côté de l’existence d’une tradition ininterrompue, la Cour de cassation confirmant l’existence d’une telle tradition dans les arrêts portant sur les communes de Floirac et Rieumes. En effet, l’arrêt de la cour d’Appel de Bordeaux avait analysé extensivement l’aspect local de la tradition en considérant l’appartenance de Floirac « à l’ensemble démographique dont Bordeaux est la capitale, où se retrouvent la permanence et la persistance d’une tradition tauromachique » (CA Bordeaux, 27 mars 1996) afin de retenir l’existence d’une tradition locale ininterrompue. Dans la même veine, la Cour d’appel de Toulouse avait constaté le 22 novembre 2001 que « dans le midi de la France entre le pays d’Arles et le pays basque, entre garrigue et Méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays basque existe une forte tradition taurine qui se manifeste par l’organisation de spectacles complets de corridas de manière régulière dans les grandes places bénéficiant de structures adaptées permanentes et de manière plus épisodique dans les petites places à l’occasion notamment de fêtes tradition ou votives » (CA Toulouse 22 novembre 2001). Ces deux arrêts d’appel ont à l’époque été confirmés par les décisions du […] et du […] de la Cour de cassation.

En l’espèce, le tribunal de Montpellier a aujourd’hui conservé une vision extensive de la localité, la commune de Pérols devant être regardée « compte tenu notamment de son inclusion dans la métropole Montpellier Méditerranée Métropole, de son schéma de cohérence territoriale qui la classe dans le bassin de vie de Montpellier et de lattractivité de laire montpelliéraine, comme se rattachant à lensemble démographique de Montpellier ». Cela n’empêchera pas pour autant le tribunal de constater « labsence de toute tradition locale ininterrompue » dans cet ensemble démographique afin de suspendre la délibération, empêchant ainsi l’organisation de la novillada. Le juge poursuit son raisonnement en reconnaissant le fait que cette pratique soit un mauvais traitement volontaire, qu’il y ait ou non mise à mort.

Cette exception législative de « tradition »a  fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, rejetée en 2012 (Cons. const., 21 septembre 2012, Association Comité radicalement anti-corrida Europe et autres, n° 2012-271 QPC). La jurisprudence est d’ailleurs venue encadrer cette notion de tradition, considérant par exemple qu’elle ne peut provenir d’une habitude de quelques années (TJ Nîmes, 2 déc. 1965: JCP 1966. II. 14654) ou encore que pour faire tradition, une pratique doit être ancienne de plusieurs générations et être constituée par une continuité réelle et non des faits isolés ou plus ou moins intermittents (T. corr. Bordeaux, 27 avr. 1989: JCP 1989. II. 21344).

Aujourd’hui, alors que 81% des français interrogés par l’IFOP se sont exprimés contre la mise à mort des taureaux (https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-la-corrida-4/), il peut être constaté que cette exception possède un « effet cliquet » et qu’une fois la tradition interrompue, il devient impossible de la réanimer. Ainsi, les corridas tolérées dans les zones géographiques où elles sont demeurées régulières sont vouées à disparaître au rythme de la prise de conscience de la population de l’atteinte qu’elles représentent pour le bien-être animal.

Alice Bourgault

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