ESOD: la FRB remet en cause la pertinence du classement

La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) a publié en janvier 2024 sa synthèse de l’avis des experts scientifiques et sociétaux sur le classement des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD).

Regroupant un comité d’experts scientifiques (CNRS, MNHN, INRAE, Université Paris Saclay notamment), la FRB a été mobilisée afin d’étudier les connaissances scientifiques relatives aux effets des prélèvements sur les dégâts qui justifieraient le classement ESOD.

Précisions sur le classement ESOD

Le classement ESOD, anciennement « espèces nuisibles », dont la liste est renouvelée tous les trois ans par arrêté ministériel, a pour effet de permettre la chasse d’espèces auxquelles sont imputés certains dommages ou atteintes, toute l’année, par différentes méthodes de chasse spécifiques (piégeage, déterrage, destruction à tir sur autorisation individuelle).

La jurisprudence administrative a précisé les deux critères alternatifs permettant de classer une espèce en tant qu’ESOD :

  • S’il est établi qu’elle est à l’origine d’atteintes significatives aux intérêts protégés mentionnés à l’article R.427-6 du code de l’environnement (santé/sécurité publique, protection de la faune/flore, prévention de dommages importants aux activités agricoles, forestières, aquacoles ou à d’autres formes de propriété) (critère « dégât »);
  • Si cette espèce est répandue de façon significative dans tout ou partie du département et que sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts précités (critère « abondance »).

Le Conseil d’État a précisé que le caractère « dégât » était rempli lorsque plus de 10.000€ de dégâts sont imputés à une même espèce sur 3 ans, dans un département.

Le critère « abondance » est quant à lui satisfait lorsque l’espèce a fait l’objet de plus de 500 prélèvements dans un département. Autrement dit, plus une espèce est chassée, plus elle est considérée comme abondante et donc susceptible d’intégrer un classement permettant de la chasser davantage.

En 2023, l’arrêté ministériel a maintenu l’inscription des espèces suivantes, étant précisé que les espèces et les territoires concernés sont spécifiques à chaque département : renard roux, belette, fouine, martre, corbeaux freux, corneille noire, pie bavarde, geai des chênes, étourneau sansonnet.

En théorie, la liste est élaborée sur la base de données locales fiables sur les effectifs de l’espèce dans chaque département et le caractère substantiel des dégâts qui leur sont réellement imputables. La pertinence du classement implique également d’être en mesure de mesurer l’efficacité du classement sur la réduction effective des dégâts imputés aux espèces visés.

En pratique, les connaissances sur les effectifs des espèces sont limitées, voire inexistantes dans certains départements, et la comptabilisation des dégâts résulte de méthodologies souvent peu fiables (probabilités, forfait de dégâts) et disparates.

Au regard des impacts du classement ESOD sur les espèces concernées, qui peuvent être massivement abattues pendant trois années par diverses méthodes, l’étude des experts de la FRB était donc particulièrement attendue.

La méthodologie de la FRB

Afin d’élaborer sa synthèse, la FRB a mis en place une « méthodologie rigoureuse d’intelligence collective » afin de consulter de nombreux experts sur le sujet des ESOD, en leur garantissant l’anonymat indispensable à leur libre expression. Les avis ont été synthétisés puis vérifiés par lesdits experts afin de garantir la solidité des éléments mentionnés dans le rapport.

Les experts se sont ensuite intéressés aux effets de ce classement ESOD et à chacun des critères permettant de proposer l’entrée d’une espèce dans ce classement.

Le statut d’ESOD

Les experts de la FRB ont considéré que la notion même d’ESOD, qui n’implique que la prise en compte des effets des espèces sur les activités humaines, était en elle-même problématique tant les statuts biologiques des espèces sont divers.

Les experts ont ainsi relevé l’incohérence du classement dans la mesure où:

  • de nombreuses espèces sont susceptibles d’être à l’origine de dégâts sans pour autant figurer au classement ;
  • aucune espèce n’est à l’origine de dégâts dans sa globalité, cette nuisance n’étant que le fait de certains individus ou certaines populations d’une espèce ;
  • les bénéfices rendus par ces espèces (services écosystémiques) sont systématiquement ignorés de la procédure de classement.

Sur ce dernier point, le cas du renard roux est particulièrement flagrant : alors que celui-ci est un prédateur de campagnols, espèce qui ravage les cultures, disperseur de graines et consommateur de charognes, il est classé ESOD dans 88 départements.

Ainsi, si la notion d’ESOD n’est pas en elle-même pertinente, les experts estiment qu’il faudrait s’attacher aux « situations de conflit, locale et temporelle« , plutôt que de généraliser un tel statut à toute une espèce, pour trois ans, à l’échelle de nombreux départements.

La difficile imputabilité des dégâts

Les experts de la FRB soulignent la difficulté d’imputer des dégâts constatés à une seule espèce, et pointent le risque de confusion entre les espèces responsables desdits dégâts.

Cette confusion peut résulter de la difficulté à distinguer certaines espèces à l’apparence similaire ou de l’identité des dégâts dont peuvent être à l’origine plusieurs espèces.

Sur le premier point, les experts soulignent l’exemple des corvidés, dont l’apparence similaire rend difficile, même lorsqu’ils sont surpris dans des cultures, l’imputation des dégâts au corbeaux freux, à la corneille noire ou au choucas des tours, qui est lui protégé.

Sur le second point, certaines espèces consomment une diversité de proies, identiques à celles consommées par d’autres. Les renards sont ainsi régulièrement rendus responsables des dégâts dans les élevages avicoles alors que dans les faits, la prédation ne pourrait être imputée à celui-ci que dans 5% des cas.

Une notion inadaptée à la réalité des interactions

Les experts proposent de redéfinir la notion de dégâts qui ne repose aujourd’hui que sur une dimension purement économique et ignore la dynamique proies-prédateurs. Ils mettent en garde sur l’absence de définition des intérêts protégés permettant de revendiquer le classement pour une espèce. Cette absence de définition induit un risque d’interprétation d’autant plus problématique que ces intérêts protégés mettent l’accent sur la « prévention » et donc sur l’éventualité de dégâts plutôt que sur leur réalité.

Les experts mettent également en avant les impacts psychologiques de ce classement, qui cantonnent les espèces à une représentation dangereuse et dérangeante pour l’homme.

Ils en concluent que « Les dégâts devraient être constatés, avérés, quantifiés et imputables, selon un cadre scientifique rigoureux« , ce qui n’est pas le cas aujourd’hui:

  • il n’existe pas de seuil à partir duquel prendre en compte un « dégât », alors que l’interaction des espèces avec les activités humaines entraîne nécessairement certains désagréments, sans pour autant induire un réel dommage ;
  • les dégâts ne sont pas chiffrés de manière objective puisqu’ils reposent sur une auto-déclaration qui ne donne lieu à aucun contrôle de l’administration ;
  • leur imputation à une espèce n’est pas davantage contrôlée ;
  • la pertinence du recours à des méthodes létales n’est pas étudiée alors que certaines méthodes préventives sont plus efficaces durablement.

Les experts notent également le poids de la réputation des espèces au fil de l’histoire et relève que « Parfois, les impacts négatifs historiques de certaines espèces génèrent les déclarations, mais ces impacts sont parfois marginaux aujourd’hui. Ces déclarations sont rarement quantifiées de façon fiable et indépendante« .

Ils recommandent de mettre en balance les dégâts occasionnés et les services rendus par les espèces. En effet, les dégâts susceptibles d’être causés par les espèces sont systématiquement mis en avant alors que leur utilité pour l’Homme et la biodiversité est généralement tue.

Une échelle locale inadaptée

Les experts relèvent que « l’échelle du département ne semble pas être l’échelle la plus adaptée pour attester de dégâts et justifier d’une destruction d’espèce« . Certaines problématiques locales imputables à un ou plusieurs individus d’une espèce ne sont en effet pas généralisables à l’échelle de tout un département. Plus encore, l’appréhension départementale des espèces conduit à nier leur biologie. A titre d’exemple, malgré des prélèvements importants et réguliers, l’abondance du renard roux ne diminue pas. Ce constat documenté résulte de la compensation des abattages par l’immigration d’individus en provenance d’autres départements compte tenu d’une réduction de la compétition pour l’accès aux ressources.

Les services instructeurs ne sont toutefois pas formés pour apprécier l’utilité d’un classement ESOD à l’échelle d’un département. Ces services sont également soumis à des pressions politiques locales qui donnent lieu à des situations absurdes : la belette ne peut ainsi ainsi être chassée que dans un département, celui dans lequel réside le président de la Fédération Nationale des Chasseurs, Willy Schraen.

En conséquence, les experts suggèrent d’adopter une approche plus pragmatique prenant en considération :

  • l’exposition à de potentielles dégradations, impliquant la prise en compte des mesures préventives mises en place,
  • la gravité des destructions à un échelle adaptée, impliquant une mise en balance du coût associé à ces destructions avec le coût des prélèvements opérés et les services écologiques rendus par l’espèce,
  • la probabilité de réalisation d’impacts négatifs en prenant en compte les conditions locales.

Cette approche ne négligerait aucunement les risques mais permettrait de prévenir la survenance de dégradations par des mesures adaptées à chaque contexte.

Une approche par le risque à privilégier

Les experts estiment que les risques sont plus identifiables que les dégâts de sorte qu’une approche par le risque pourrait être privilégiée.

Ils proposent la classification des risques suivantes:

  • Risques sanitaires/épidémiologiques, étant précisé que la chasse et la manipulation du gibier qu’elle implique, est un facteur de transmission de maladies ;
  • Risque de prédation, étant précisé que pour la prédation sur la petite faune sauvage, seule la mise en péril de la survie d’une espèce naturellement présente sur le territoire devrait conduire à se prévaloir de cet intérêt pour justifier le classement ;
  • Risques de dégradation, en imaginant un mécanisme d’indemnisation à partir d’un certain seuil, comme c’est le cas pour les espèces de grand gibier.

Les propositions de mesures de gestion

Les experts insistent en premier lieu sur la nécessité de prévenir les dégâts par des mesures adaptées. La mise en place effective de ces mesures devrait être contrôlée.

En effet, selon les experts de la FRB, « Les mesures de gestion découlant du classement Esod ne sont pas fondées sur la littérature scientifique ou technique, n’ont pas démontré leur efficacité et ne sont pas proportionnées« . Outre l’inefficacité des prélèvements, les experts considèrent que la destruction de la faune sauvage pour des motifs sanitaires peut se révéler contre-productives.

Ils mettent en évidence par exemple le fait que la prédation sur les poulaillers pourrait aisément être réduite grâce à des bonnes pratiques qui sont souvent ignorées des éleveurs. Des dispositifs financiers incitatifs pourraient ainsi rendre plus systématique la bonne mise en œuvre de mesures de prévention souvent négligées.

Ensuite, il paraît indispensable d’étudier la pertinence des destruction pour réduire effectivement les dégâts. Le contrôle de la réalité de ceux-ci et leur imputabilité à chaque espèce, par l’exigence de soumission de preuves concrètes, est également un préalable nécessaire à ce qu’un dégât soit comptabilisé comme tel.

A côté de ces mesures concrètes, l’étude des espèces et des effets des mesures associées à ce classement devrait être le socle d’une politique de gestion efficace.

Des actions proportionnées et plus ciblées sont seules en mesure d’enrayer notamment la frustration des exploitants agricoles confrontés à des dommages dont il est établi que les chasseurs ne sont pas en mesure de prévenir.

Nous ajouterons à cette synthèse que le contrôle des mesures de gestion visant à assurer une meilleure cohabitation entre les activités humaines et la faune sauvage devrait reposer sur une entité indépendance. Dans un contexte d’érosion dramatique de la biodiversité, la préservation de la faune sauvage ne peut exclusivement dépendre de la politique des fédérations de chasse, dont l’efficacité des méthodes est remise en cause par les scientifiques et qui conservent un intérêt individuel au maintien du loisir de leurs adhérents.

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