Cétacés dans le golfe de Gascogne : suspension partielle d’un arrêté ministériel a minima

Par une ordonnance en date du 22 décembre 2023, le Conseil d’État a censuré l’arrêté ministériel établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025, et 2026. Les mesures édictées ont été jugées trop peu ambitieuses pour remédier à cet enjeu important pour la conservation des cétacés.

En effet, en mars 2023 plusieurs associations de défense de l’environnement avaient saisi le Conseil d’État compte tenu du constat d’un déclin des populations de petits cétacés et de l’insuffisance des mesures prises pour réduire les captures accidentelles de ceux-ci.  Le Conseil d’État avait ordonné au Gouvernement de fermer, sous 6 mois, des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour des périodes appropriées. Cette injonction devait conduire à limiter les décès accidentels de dauphins communs, de grands dauphins et de marsouins communs, victimes de captures accidentelles lors des actions de pêche.

La menace réelle des captures accidentelles sur l’état de conservation des cétacés

Les Avis du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) du 26 mai 2020 et du 24 janvier 2023 indiquent que le nombre de décès par capture accidentelle de ces espèces dépasse chaque année, depuis 2018, la limite maximale permettant d’assurer leur état de conservation favorable en Atlantique Nord-Est. Si bien qu’à ce jour, les trois espèces concernées sont dans un état de conservation défavorable. Le dauphin commun et le marsouin commun font même face à un danger sérieux d’extinction, au moins régionalement. Chaque année, ce sont entre 4000 et 10 000 cétacés qui périssent en mer, tués accidentellement par les filets de pêche selon l’observatoire PELAGIS.

Ces espèces sont pourtant protégés au titre de la directive « Habitats » de 1992. Le grand dauphin et le marsouin commun figurent d’ailleurs parmi les espèces d’intérêt communautaire mentionnées à l’annexe II de cette directive. L’annexe IV concerne toutes les espèces de cétacés, dont le dauphin commun. A ce titre, ces espèces doivent être maintenues dans un état de conservation favorable, c’est-à-dire un état dans lequel, « les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient » et doivent être sauf exceptions, conservées (Art L. 414-1 et L. 414-4 C. Env). Il appartient aux autorités compétentes d’user du pouvoir qui leur est conféré d’instaurer des mesures techniques de protection.

L’adoption d’un arrêté ministériel a minima

Par un arrêté du 24 octobre 2023, le secrétaire d’Etat chargé de la mer avait, suite à la décision du Conseil d’Etat, interdit aux navires de 8 mètres ou plus équipés de certains filets (chalut pélagique, chalut bœuf de fond, filet trémail, filet maillant calé) de pêcher dans le Golfe de Gascogne du 22 janvier au 20 février 2024, 2025 et 2026.

Cependant cette interdiction souffrait de très nombreuses dérogations avec un régime transitoire pour l’année 2024 (art. 4.2 et 4.3) et des exemptions pérennes (art. 4.4 et 4.5). C’est pourquoi les associations à l’origine du recours ont saisi le juge des référés d’une demande de suspension des dispositions de l’arrêté du 24 octobre qui en limitait sa portée.

La mise en balance des intérêts par le Conseil d’État

Afin de se prononcer sur l’arrêté, le juge des référés du Conseil d’État a pris en compte :

  •  l’urgence liée à la conservation des petits cétacés, dont la capture accidentelle ne peut se poursuivre à un niveau qui n’est pas soutenable pendant un hiver supplémentaire,
  • l’impact de sa décision sur l’activité économique de nombreuses entreprises de pêche. En effet, le Gouvernement a prévu d’indemniser les conséquences de la fermeture de la pêche pour les entreprises concernées).

Il a ainsi suspendu partiellement l’arrêté au regard de l’insuffisance de trois dispositions injustifiées :

1 – L’exclusion des sennes pélagiques

D’abord, le juge des référés du Conseil d’État reprend les arguments de l’avis du CIEM quant aux conditions de l’effectivité d’une fermeture de quatre semaines. En effet, le CIEM indique qu’une période si réduite de fermeture ne permet de se rapprocher d’un niveau de mortalité soutenable des petits cétacés[1] que si elle est appliquée à l’ensemble des activités à risque. Or, les sennes pélagiques, qui sont à l’origine d’environ 20 % des captures accidentelles de dauphins communs dans le Golfe de Gascogne entre 2019 et 2021, ne sont pas concernées par la mesure de fermeture

Par conséquent, le Conseil d’État suspend l’exclusion des sennes pélagiques du champ de cette interdiction.

2 – Les dérogations complémentaires pour l’année 2024

Ensuite, le Conseil d’État, suspend les dérogations prévues pour l’année 2024, en ce qu’elles ont pour effet d’anéantir les effets de la fermeture. En effet, les dérogations prévues pour 2024 auraient eu pour conséquence que seuls 10 navires sur environ 500, soit 2% des bateaux utilisant des engins à risques pendant la période hivernale, auraient été concerné par la période de fermeture. Il constate que ces dérogations prévues à titre transitoire pour 2024 ne se justifient ni par leur caractère incitatif ni par des contraintes de mise en œuvre. 

3 – La fin de l’expérimentation des dispositifs de dissuasion acoustique

Enfin, le Conseil d’État suspend l’article 7 de l’arrêté qui mettait fin, sans la compenser par d’autres mesures, à l’expérimentation de dispositifs de dissuasion acoustique accompagnés (« pingers ») de caméras embarquées sur des fileyeurs (navires utilisant des filets maillants et emmêlants). 

En revanche, il maintient l’exonération prévue par l’arrêté pour les navires de moins de 8 mètres et pour l’utilisation des sennes danoises.

Cette annulation partielle a pour effet de censurer les dispositions de l’arrêté qui faisaient obstacle à son effectivité et permettent d’espérer une réduction des captures accidentelles de cétacés dans le Golfe de Gascogne dès 2024.


[1] 4800 individus par an selon la méthodologie fondée sur le prélèvement biologique potentiel ou « Potential Biological Removal »

Pour lire la brève publiée par le cabinet lors de l’adoption de l’arrêté, c’est ici

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