Nous sommes heureux d’avoir représentés les associations Paris en Selle, Vivre à Pleyel et Environnement 93 dans le cadre de ce recours à l’encontre de la déclaration d’utilité publique du Franchissement Urbain Pleyel (FUP) à Saint-Denis (93).
Saisie par ces trois associations concernant la légalité du FUP, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé, par un arrêt du 23 juin 2021, la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet.
La Cour a fondé son annulation sur les insuffisances de l’étude d’impact sur deux aspects :
1) En premier lieu, la Cour a relevé l’insuffisante prise en compte des effets cumulés du FUP avec les 12 autres projets d’aménagement en cours dans le secteur. Plaine Commune s’est en effet contentée d’identifier les projets et de décrire leurs effets potentiels, sans analyse circonstanciée (ampleur, isolement des effets spécifiques de chaque projet).
Ainsi, la Cour a relevé que « Compte tenu notamment de l’importance des différents projets d’aménagement, en cours en Seine-Saint-Denis, de leur état d’avancement et de la confusion résultant de l’élaboration d’un scénario de référence incluant les effets cumulés avec d’autres projets à l’horizon 2030, les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’étude d’impact est insuffisante (…) ».
2) En second lieu, la Cour a relevé à juste titre que Plaine Commune ne présentait pas le scénario de référence correspondant à l’état actuel de l’environnement, se projetant en permanence à 2030. Or, comment évaluer les impacts d’un projet sans le comparer à la situation antérieure à sa mise en service ?
Par ailleurs, aucun scénario permettant d’isoler l’impact du FUP en matière de qualité de l’air et de bruit au sein du projet urbain Pleyel n’est proposé par le maître d’ouvrage. La Cour a ainsi déclaré que « l’erreur quant au scénario de référence retenu révèle un problème méthodologique sur un point essentiel de l’étude d’impact ».
La Cour a ainsi admis que certaines insuffisances de l’étude d’impact étaient de nature à remettre en cause la légalité du FUP, ce qui envoie un signal fort aux maîtres d’ouvrage parfois peu rigoureux dans l’élaboration de ce document majeur.
Toutefois, il est à déplorer que la Cour n’ait pas saisie cette occasion pour aller plus loin dans son appréciation du contenu de ce document, notamment s’agissant des conséquences à tirer de son insuffisance généralisée.
La Cour a ainsi considéré qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur l’une des demandes des associations requérantes, qui tendait à ce que soit prononcée, par voie d’exception, l’illégalité de la déclaration de projet du FUP.
Pour mémoire, la déclaration de projet est une décision qui s’inscrit dans le cadre de la procédure de déclaration d’utilité publique et qui permet la délivrance des autorisations de travaux. Son illégalité ne peut être excipée qu’à l’occasion d’un recours à l’encontre de la DUP.
Dans le cadre du FUP, la déclaration de projet se fondait sur l’étude d’impact de la DUP. Les insuffisances de cette étude d’impact ont donc nécessairement des conséquences sur les deux actes, la déclaration de projet et la déclaration d’utilité publique. C’est d’ailleurs le raisonnement suivi par la rapporteure publique dans ses conclusions.
Toutefois, dans sa décision finale, la Cour, par un raisonnement non abouti, estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la déclaration de projet. Ce silence implique de considérer que l’illégalité de cet acte est reconnue par la Cour, puisque l’annulation de la DUP procède des insuffisances de l’étude d’impact. Il aurait toutefois été utile que cela soit formulé en des termes clairs, particulièrement dans ce dossier où le manque de clarté est l’un des reproches régulièrement opposés au maître d’ouvrage.
Ensuite, il convient de rappeler que tout au long de l’étude d’impact, le FUP est présenté comme essentiel au bon déroulement des Jeux Olympiques 2024 en ce qu’il sera indispensable à leur accessibilité. La Cour a pourtant refusé de considérer que le FUP était intégré au projet des JO24 et qu’ainsi, ses impacts n’avaient pas à être appréhendés conjointement avec ceux des autres aménagements liés aux JO.
L’une des deux branches du FUP sera également la porte d’entrée principale de la Gare Pleyel, la seule permettant un accès à tous, y compris aux personnes à mobilité réduite. D’ailleurs, ces deux projets sont présentés comme en « symbiose » par le maître d’ouvrage.
La Cour a admis le lien géographique et fonctionnel des deux aménagements, lequel aurait nécessairement dû conduire, en droit, à appréhender conjointement leurs impacts au titre de la notion de « projet ».
Pourtant, là-encore, la Cour administrative d’appel a refusé de considérer que les impacts du FUP auraient dû être appréhendés conjointement avec ceux de la gare, au motif que la desserte de la gare ne serait pas la fonction essentielle du FUP.
Plus intéressant encore, alors que la rapporteure publique avait relevé une insuffisante prise en compte de la pollution des sols à l’endroit du FUP, le maître d’ouvrage ayant identifié la présence de nombreux polluants majeurs présentant un risque de dispersion important, la Cour a considéré que le renvoi du maître d’ouvrage a des études ultérieures, donc hypothétiques, était satisfaisant.
L’autorité environnementale saisie à deux reprises de l’étude d’impact du FUP avait pourtant également relevé cette lacune.
Plaine Commune a ainsi pu se contenter de présenter de simples mesures de gestion des déblais pollués sans jamais caractériser les risques de cette pollution pour les futurs usagers, comme cela est pourtant requis par l’article L.122-1-1 du code de l’environnement.
Plaine Commune ne cesse par ailleurs de se prévaloir, tout au long de son étude d’impact, d’une note technique de février 2019 sur le fondement de laquelle elle a élaboré celle-ci. Le respect de cette note technique, sans valeur réglementaire, est en principe un gage de qualité puisqu’elle a vocation à guider les maîtres d’ouvrage en vue de réaliser des études d’impact rigoureuses et pertinentes.
Pourtant, Plaine Commune a souvent pris des libertés dans l’application de cette note, omettant des prescriptions utiles à l’appréciation par le public des effets du projet : défaut de présentation de plusieurs scénarios d’exposition, absence d’étude des effets du projet à 20 ans après la mise en service, localisation erronée de sites sensibles…
Le cumul de ces omissions a nécessairement été préjudiciable à la qualité de l’étude d’impact, la rendant souvent illisible, voire erronée.
Pourtant, la Cour administrative d’appel a décliné toute valeur juridique à cette note technique, quand bien même la qualité de l’étude d’impact serait remise en cause du fait des manquements de Plaine commune à ses prescriptions.
Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire pour les maîtres d’ouvrage de respecter les prescriptions d’une note technique dont il se prévalent comme gage de qualité de leur étude d’impact. Bien que cela soit de nature à induire le public en erreur, les juridictions administratives ne semblent pas disposer à procéder à une analyse de la qualité de cette étude sur le fondement de documents nécessairement techniques.
Nous ne pouvons que militer pour que ces notes techniques acquièrent une valeur juridique, ce afin que les maîtres d’ouvrage qui s’en prévalent soient tenus de rendre des comptes sur leur bonne application.
Enfin, concernant la qualité de l’air, nous ne pouvons que déplorer la place accordée à cette problématique par la Cour administrative d’appel, s’agissant d’un aménagement situé dans une zone déjà fortement polluée.
En janvier 2019, l’Autorité environnementale avait indiqué, s’agissant des projets d’infrastructure routière : « D’un point de vue environnemental, il reste difficile d’admettre que dans des situations où la santé des riverains est altérée du fait de dépassements des normes de qualité́ de l’air, des projets routiers ne comportent pas de mesures d’évitement et de réduction visant l’amélioration de la santé humaine autres que l’espoir d’un progrès technologique à moyen ou long terme sur les émissions des véhicules ».
Or, c’est bien en se basant sur des améliorations hypothétiques des motorisations et une prise en compte de la problématique de la pollution de l’air par les pouvoirs publics que Plaine Commune a considéré que la hausse des concentrations en polluants provoquée par le FUP serait atténuée.
Cet argumentaire peu audible a pourtant suffi à convaincre la Cour qui n’a pas hésité à indiquer qu’il n’était pas démontré par les associations que « l’amélioration des carburants » ne constituait pas une hypothèse « raisonnable ». En réalité, les associations requérantes s’en remettent davantage à l’avis d’une instance telle que l’Autorité environnementale qu’à Plaine Commune pour apprécier les mesures susceptibles de permettre de lutter contre la pollution de l’air.
La défaillance de la Cour dans l’appréhension de l’enjeu de qualité de l’air est encore plus flagrante lorsqu’il s’est agi d’apprécier les mesures « éviter, réduire, compenser » (dite ERC) prévues par Plaine Commune. Malgré une augmentation des émissions de NO2 (dioxyde d’azote) de 4,5% en raison du projet, Plaine Commune n’a proposé aucune mesure pertinente pour éviter, réduire ou compenser cet effet néfaste. Elle s’est contentée de proposer, « la mise en place de stores intérieurs en toile », « une campagne de sensibilisation des usagers », une utilisation du bois dans la construction du projet ou « l’utilisation d’un éclairage électrique faible et à LED ».
Il n’est pas nécessaire d’être un technicien pour comprendre qu’aucune de ces mesures n’est à la hauteur de l’enjeu de qualité de l’air, qui constitue la 2ème cause de mortalité en France, principalement à cause des émissions de NO2.
Sur ce point, la Cour a étonnamment considéré que le fait de rendre les transports collectifs plus attractifs et de promouvoir une meilleure gestion des flux de marchandises sur le territoire constituaient des mesures ERC à la hauteur. Pourtant, il ne s’agit pas des mesures ERC prévues par le maître d’ouvrage.
Enfin, il est à regretter que le peu de place accordé aux modes actifs de transport dans le projet de FUP n’ait même pas été abordé par la Cour, alors même qu’elle considère que l’utilisation du vélo contribuera à éviter partiellement les impacts du projet en matière de qualité de l’air.
La portée de cette décision est enfin limitée par le refus opposé par le juge des référés de la Cour administrative d’appel, en septembre 2020 puis en janvier 2021, de suspendre la DUP avant qu’elle ne soit exécutée. Cette suspension justifiée par l’imminence des travaux, aurait contraint Plaine Commune à revoir son étude d’impact avant d’imposer aux habitants de Saint-Denis des travaux dont il est admis aujourd’hui que les impacts n’ont pas été suffisamment appréhendés.