Le 11 avril dernier, l’Autorité environnementale (Ae) a publié son rapport annuel 2021. Son constat est sans appel : en matière de transition écologique la France alterne entre immobilisme et régression. Les experts de l’Ae exhortent les pouvoirs publics à agir pour répondre à l’urgence de la crise écologique.
Qu’est-ce que l’Autorité environnementale ?
Il s’agit d’une instance qui donne des avis, rendus publics, sur les évaluations des impacts des grands projets et programmes sur l’environnement. Elle se prononce également sur les mesures de gestion visant à éviter, atténuer ou compenser ces impacts. Selon le type de projet (national ou local), l’Ae peut être:
- le Ministre chargé de l’environnement,
- la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé.
Lorsque l’opération est réalisée par le ministère ou un organisme placé sous sa tutelle, l’impartialité s’impose. C’est donc la formation d’Ae du CGEDD qui se prononce sur l’opération.
L’Ae est ainsi un garant qui atteste de la bonne prise en compte des enjeux environnementaux par les maîtres d’ouvrage et par les autorités décisionnelles.
La formation d’Ae du CGEDD est composée de 15 personnalités aux compétences très diverses (environnement, aménagement, agriculture, développement économique).
Chaque année la formation d’Ae du CGEDD publie un rapport faisant le bilan du respect du processus démocratique et de la prise en compte des enjeux environnementaux dans les décisions publiques.
Le rapport publié cette année est particulièrement à charge à l’encontre des décideurs publics et des porteurs de projets.
Des perspectives de progression atténuées par un constat global d’échec
L’année 2021 a été particulièrement dense pour l’Autorité environnementale qui a rendu 159 avis contre 123 en 2019. 91 de ces avis ont porté sur des projets, dont un tiers de projets industriels. Les aménagements urbains et les infrastructures de transport constituent les deux autres tiers des avis rendus sur des projets.
Dès l’introduction de son rapport, l’Ae relève :
- un écart préoccupant entre les objectifs environnementaux fixés à moyen et long terme, les ambitions affichées pour les atteindre et les actes censés les traduire
- la persistance d’un modèle daté, basé sur la présentation renouvelée de projets aux conséquences irréversibles à moyen et long terme
- le revers de la simplification à outrance du droit de l’environnement : insécurité juridique, appauvrissement de l’analyse environnementale, de l’information et de la participation du public.
L’Ae fait le constat d’un immobilisme dont elle identifie les causes: « conservatismes ou intérêts économiques, les freins conduisant à l’immobilisme sont nombreux. Certaines décisions sont même des régressions« .
Contenu des études d’impact : entre avancées et insuffisances
Si l’Ae note une progression de la prise en compte de la notion de projet et des actualisations plus systématiques des études d’impact, ce constat est à tempérer pour les projets dont l’impulsion est ancienne. La conception des « vieux projets », qu’il s’agisse de ZAC ou d’infrastructures routières ne répond plus au contexte actuel. L’actualisation de leur étude d’impact est soit négligée, soit insuffisante faute de marge de manœuvre pour faire évoluer le projet.
L’Ae indique également être très rarement destinataire des dispositifs de suivi des effets de certains projets, notamment d’aménagement et d’infrastructures. Cela est particulièrement étonnant compte tenu des enjeux que ces projets soulèvent : bruit, qualité de l’air, consommations énergétiques…
L’Ae souligne également les problématiques résultant des outils de modélisation utilisés par les maîtres d’ouvrage. Ces outils peuvent être utilisés afin de faire ressortir des conclusions positives artificielles. S’agissant de deux lignes du Grand Paris Express, l’Ae s’est ainsi étonné du bilan socio-économique toujours positif « après revalorisation favorable des externalités environnementales, sans que cette revalorisation ne s’explique« .
S’agissant des projets routiers, l’Ae réitère ses constats de l’année précédente :
- périmètres de projets très partiels,
- projets dont la justification n’est pas réévaluée pour tenir compte des évolutions
du contexte et des enjeux environnementaux, - études d’impact actualisées a minima, voire pas du tout, sur plusieurs sujets pourtant essentiels (trafic, bruit, air, gaz à effet de serre),
- absence d’analyse des effets induits sur l’urbanisation,
- disparition de la justification de projets anciens confrontés au contexte actuel.
La notion de projet toujours mal appréhendée
En 2021, l’Ae a continué à rappeler aux maîtres d’ouvrage la nécessité d’appréhender les projets dans leur ensemble. La notion de « projet » est la clé de voûte des études d’impact puisqu’elle détermine leur périmètre. L’Ae a régulièrement été contrainte d’exiger des maîtres d’ouvrage qu’ils intègrent une autre opération dans leur étude d’impact afin d’appréhender le projet dans son ensemble. L’étude d’impact ne peut conduire à fractionner les projets en vue de minimiser l’impact global. Ainsi, un nouveau projet peut n’être en réalité qu’une partie d’un projet global existant.
Les nouveaux sujets abordés par l’Autorité environnementale
L’année 2021 a été l’occasion pour l’Autorité environnementale de se pencher sur des sujets inédits.
Énergie : des ambitions fictives
En matière d’énergie, l’Ae relève la contradiction entre les objectifs nationaux de réduction des consommation d’énergie et la présentation de projets induisant une augmentation de ces mêmes consommations. Elle relève également le peu de place accordée à la transition énergétique dans les projets de transport. Les mobilités actives et les transport en commun sont ainsi largement négligés. De la même manière, dans les projets industriels, les maîtres d’ouvrage taisent les solutions alternatives sobres du point de vue énergétique.
Agriculture : l’occasion manquée
Outre des dossiers ayant trait à l’énergie, l’Ae s’est prononcée sur les programmes détaillant la politique agricole des années à venir: le programme stratégique national de la politique agricole commune et le plan d’actions nitrates. Sur ce sujet d’importance majeure, l’Ae estime que ces programmes sont une occasion manquée pour la France « d’accompagner ses agriculteurs dans la transition vers l’agroécologie, pour une agriculture significativement moins polluante et plus résiliente face au changement climatique« . Ce thème a également été l’occasion pour l’Ae de se prononcer sur le bien-être animal et sur l’impact sur l’environnement de l’exploitation industrielle des animaux. L’Ae rappelle qu’une exploitation raisonnée a des seulement des bénéfices sanitaires mais également économiques et environnementaux (maîtrise des rejets).
L’eau, grande oubliée des études d’impacts
Le constat est tout aussi accablant s’agissant des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Faute de prescriptions et de moyens proportionnés pour atteindre les objectifs, l’échéance de 2027 pour atteindre le bon état écologique des eaux ne sera pas respectée. Les prévisions ne sont, d’après l’Ae, pas compatibles avec les ambitions affichées. L’eau est d’ailleurs une thématique négligée dans les études d’impact des porteurs de projets : mauvaise délimitation des zones humides, séquence ERC inadaptée, absence de mise en œuvre des mesures de compensation, mesures inadaptées de traitement des eaux pluviales…
Programmes financiers : l’environnement au dernier plan
L’Ae a également constaté le manque d’avancées en matière environnementale dans les programmes financiers. Ses experts font état d’une « absence d’inflexion significative dans la
ventilation des crédits » et d’un « recul des règles d’éco-conditionnalité « . Cependant, l’Ae relève l’absence de scénario de référence dans les programmes financiers, ce qui constitue un obstacle à l’appréhension de leurs évolutions.
Conclusion
Si l’Autorité environnementale relève une amélioration de la qualité des études d’impact, les mesures permettant d’atteindre les objectifs fixés sont rarement détaillées. L’ambition affichée dans les programmes n’est pas plus accompagnée des mesures concrètes permettant de la réaliser. D’ailleurs, le suivi des impacts au-delà de la phase d’approbation des opérations est ignoré, au point que l’Ae ne soit même pas saisie des dispositifs de suivi à mettre en œuvre.
Certains projets aux impacts significatifs sont présentés en dépit de leur manque de maturité. D’autres projets anciens sont mis en œuvre bien que leur justification initiale ait disparue.
Il semble que, quel que soit le secteur (agriculture, énergie, infrastructures routières…), il n’existe pas de stratégie d’ensemble guidant la mise en œuvre des projets. Pas plus qu’il existe une politique globale à même de prendre à bras le corps le défi écologique.
Si l’Ae relève un début de prise de conscience, les décisions publiques ne sont à la hauteur ni de l’urgence climatique, ni des enjeux de pollution des eaux et d’érosion des sols et de la biodiversité.
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Le cabinet a notamment eu l’occasion de travailler sur les dossiers de l’échangeur Pleyel et du Franchissement Urbain Pleyel. Ces projets ont tous deux fait l’objet d’une saisine de l’Autorité environnementale en 2019. De par ces expériences, nous partageons pleinement les conclusions de son rapport 2021.