Le 14 février dernier, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par l’association One Voice sur le sujet de la détention des 𝐞𝐬𝐩𝐞̀𝐜𝐞𝐬 𝐝’𝐚𝐧𝐢𝐦𝐚𝐮𝐱 𝐧𝐨𝐧-𝐝𝐨𝐦𝐞𝐬𝐭𝐢𝐪𝐮𝐞𝐬.
Nous nous attacherons ici à l’une des branches de cette QPC, portant sur la différence de traitement entre les établissements fixes et les établissements itinérants détenant des animaux d’espèces non -domestiques.
Historique
Pour rappel, la loi n°1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale a interdit la détention d’espèces d’animaux non-domestiques 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆𝒔 𝒆́𝒕𝒂𝒃𝒍𝒊𝒔𝒔𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒊𝒕𝒊𝒏𝒆́𝒓𝒂𝒏𝒕𝒔 (cirques principalement) à compter du 2 décembre 2028.
L’objectif était que des « solutions d’accueil » soient proposées à ces établissements, c’est-à-dire que les animaux soient transférés dans des refuges et sanctuaires afin qu’ils bénéficient enfin de conditions compatibles avec leur bien-être. La loi prévoit d’ailleurs l’abrogation des autorisations d’ouverture des établissements exerçant les activités devenues interdites « 𝑑𝑒̀𝑠 𝑙𝑒 𝑑𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑡 𝑑𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑖𝑚𝑎𝑢𝑥 𝑑𝑒́𝑡𝑒𝑛𝑢𝑠 ».
En 2023, le gouvernement avait annoncé avoir débloqué un plan d’accompagnement d’un montant de 35 millions d’euros sur 3 ans prévoyant notamment une aide des établissements à la mise au repos en refuge des animaux.
Contexte de la saisine par QPC
Pourtant, à rebours de cet objectif, un arrêté ministériel du 3 juillet 2023 a prévu une équivalence des certificats de capacité de présentation au public des animaux au sein des établissements itinérants et au sein des établissements fixes.
Ce texte facilite ainsi le maintien des animaux dans les établissements itinérants, qui n’auront qu’à devenir fixes pour conserver les animaux.
L’association a exercé un recours à l’encontre de cet arrêté.
❓ A cette occasion, elle a souhaité interroger le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des nouveaux articles L. 413-10 et L. 413-11 du code de l’environnement, 𝐧𝐨𝐭𝐚𝐦𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐞𝐧 𝐜𝐞 𝐪𝐮’𝐢𝐥𝐬 𝐢𝐧𝐭𝐫𝐨𝐝𝐮𝐢𝐬𝐞𝐧𝐭 𝐮𝐧𝐞 𝐝𝐢𝐟𝐟𝐞́𝐫𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐞 𝐭𝐫𝐚𝐢𝐭𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐥𝐞𝐬 𝐞́𝐭𝐚𝐛𝐥𝐢𝐬𝐬𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐟𝐢𝐱𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐞́𝐭𝐚𝐛𝐥𝐢𝐬𝐬𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐢𝐭𝐢𝐧𝐞́𝐫𝐚𝐧𝐭𝐬.
Le sens de la décision sur QPC
Dans sa décision du 14 février dernier, le Conseil Constitutionnel a considéré que la différence de traitement entre les établissements fixes et itinérants était fondée dans la mesure où la loi de 2021 « 𝑎 𝑒𝑛𝑡𝑒𝑛𝑑𝑢 𝑚𝑒𝑡𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑛 𝑡𝑒𝑟𝑚𝑒 𝑎𝑢𝑥 𝑠𝑜𝑢𝑓𝑓𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒𝑠 𝑎𝑛𝑖𝑚𝑎𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑠𝑢𝑙𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑠𝑝𝑒́𝑐𝑖𝑓𝑖𝑞𝑢𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝒅𝒆𝒔 𝒅𝒆́𝒑𝒍𝒂𝒄𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝑎𝑢𝑥𝑞𝑢𝑒𝑙𝑠 𝑖𝑙𝑠 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑒𝑥𝑝𝑜𝑠𝑒́𝑠 ».
L’impact spécifique du transport sur le bien-être des animaux justifierait donc, selon les Conseillers, la différence de traitement.
𝐀 𝐥𝐞 𝐥𝐞𝐜𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐭𝐫𝐚𝐯𝐚𝐮𝐱 𝐩𝐚𝐫𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐞𝐭 𝐝𝐞 𝐥’𝐮𝐧𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐬𝐨𝐮𝐫𝐜𝐞 𝐚̀ 𝐥𝐚𝐪𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐢𝐥𝐬 𝐬𝐞 𝐫𝐞́𝐟𝐞̀𝐫𝐞𝐧𝐭, 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐧𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐭𝐚𝐠𝐞𝐨𝐧𝐬 𝐩𝐚𝐬 𝐥𝐞 𝐫𝐚𝐢𝐬𝐨𝐧𝐧𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐬𝐮𝐢𝐯𝐢 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐞𝐬 𝐒𝐚𝐠𝐞𝐬.
Un fondement de la décision : le contenu des débats parlementaires
Les débats parlementaires mentionnent il est vrai à plusieurs reprises l’incompatibilité de la « 𝑑𝑒́𝑡𝑒𝑛𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑛 𝑖𝑡𝑖𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒 » avec les impératifs biologiques des espèces.
Toutefois, le rapport n°844 de la Commission mixte paritaire (CMP) au Sénat du 22 septembre 2021 a bien évoqué une absence de justification de cette différenciation entre les types d’établissements qui constituerait une « 𝑟𝑢𝑝𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑’𝑒́𝑔𝑎𝑙𝑖𝑡𝑒́ 𝑑𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑖𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑒𝑛𝑡𝑟𝑒 𝑎𝑐𝑡𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑠𝑖𝑚𝑖𝑙𝑎𝑖𝑟𝑒𝑠 ». Si la sénatrice critiquait alors cette différence de traitement dans la perspective d’éviter toute interdiction, le constat reste identique. Il est par ailleurs révélateur du fait que la CMP ne disposait pas, lors du dépôt de son rapport, d’éléments démontrant que l’enjeu se situait au niveau de l’itinérance, c’est-à-dire du déplacement des animaux.
Seule une analyse d’experts aurait donc pu conclure au bien-fondé scientifique d’une telle différence de traitement entre les établissements itinérants et les établissements fixes.
La note de la Fédération des Vétérinaires Européens (FVE)
Une seule source n’est toutefois mentionnée dans les travaux parlementaires et apparaît dans le rapport n°3791 fait au nom de la CMP à l’Assemblée le 20 janvier 2021 : il s’agit d’une note de positionnement de la Fédération des vétérinaires européens (FVE) datant de juin 2015. Cette note concernait spécifiquement l’utilisation d’animaux dans les cirques itinérants.
Il ressort toutefois de la lecture de cette note que non seulement la FVE n’a pas identifié le transport des animaux en tant que principale cause de l’atteinte à leur bien-être, mais elle a introduit son propos en assimilant les deux types d’établissements : « L’utilisation d’espèces animales quelles qu’elles soient (…) dans tout spectacle, itinérant ou non, devrait être soumise à un examen scientifique et éthologique ».
🤓 Selon la FVE, les problématiques résultent surtout de l’utilisation des animaux lors de spectacles, des risques pour le public et de la transmission de maladies zoonotiques en cas de fuite des animaux. Ces critiques sont globalement transposables aux établissements qui réaliseraient des spectacles non itinérants.
Certes, le transport ne favorise pas le bien-être des animaux, mais il apparaît que la circonscription de la loi aux établissements itinérants résulte davantage d’une volonté politique d’éviter une interdiction trop large que d’une préoccupation réelle pour les impératifs biologiques des espèces.
Conclusion
Il nous semble donc que la différence de traitement ne pouvait être justifiée pour le motif retenu par le Conseil constitutionnel, de sorte que sa décision constitue une occasion manquée de remédier à l’une des incohérences de la loi de 2021.
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