Pollution de l’air : la Commission a publié sa proposition de Directive révisée

« La pollution de l’air continue d’être la première cause de décès prématurés dans l’Union européenne » d’après les données de la Commission européenne.

Les Directives relatives à la qualité de l’air (Directive 2004/107/CE et Directive 2008/50/CE) n’ont pas permis de remédier à la pollution de l’air en Europe bien qu’elles aient contribué à sa réduction.

En dépit de seuils négociés éloignés des seuils sanitaires de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les résultats n’ont pas été atteints. La France, notamment, n’a pas atteint les objectifs européens. Le 28 avril 2022, la CJUE a condamné la France pour non-respect des seuils de particules fines (PM10) dans les zones de Paris et Fort-de-France. Déjà en 2019, la France avait été sanctionnée pour le non-respect des valeurs limites de dioxyde d’azote « de manière systématique et persistante » dans douze agglomérations.

Pourtant, la pollution de l’air est un enjeu de santé publique notoire. 300.000 européens décèdent chaque année de ses conséquences tandis qu’en France 48.000 morts lui sont attribués annuellement, dont environ 8000 en Ile-de-France.

Les associations pointent régulièrement du doigt le décalage entre les seuils négociés au niveau européen et les seuils sanitaires de l’OMS. En effet, d’après Santé Publique France, le respect des valeurs actuellement fixées au niveau européen ne permettrait d’éviter qu’onze décès prématurés par an. A l’inverse, le respect des seuils de l’OMS (seuils 2015) en sauverait 17.000 annuellement.

D’ailleurs, en 2021, l’OMS a elle-même révisé ses seuils à la baisse.

Face à ce constat, la Commission européenne a engagé en 2020 une révision des Directives relatives à la qualité de l’air.

Présentée le 26 octobre 2022, la proposition de Directive, si elle contient des avancées, semble manquer d’ambitions.

Les mesures phares de la proposition de Directive

La révision des Directives européennes sur la qualité de l’air a tout d’abord pour objet de fusionner les deux directives existantes, à savoir la Directive de 2004 relative à des polluants spécifiques et celle de 2008 sur la qualité de l’air en général.

Elle rappelle également l’objectif de « zéro pollution » d’ici à 2050 : à cette date, la Commission indique que le niveau de pollution ne devra plus être considéré comme dangereux pour la santé humaine et l’environnement.

Elle prévoit ensuite que les États membres devront renforcer les sanctions et améliorer l’information du public. La proposition a également pour ambition d’améliorer le soutien aux autorités locales pour parvenir à une meilleure qualité de l’air. Enfin, s’agissant des seuils de polluants, elle simplifie leur appréhension et tend à les rapprocher des seuils de l’OMS.

Seuils : une solution de compromis

La proposition de Directive consacre la fixation de valeurs limites pour les polluants qui bénéficiaient jusqu’à présent de valeurs cibles non contraignantes, à l’exception de l’ozone. L’intégralité de ces nouveaux seuils sera applicable qu’à compter de 2030.

Si cette avancée est louable, à ce stade, l’alignement strict des seuils européens sur les seuils de l’OMS n’est pas prévu. Si les seuils européens ont été revus à la baisse pour 12 polluants, ils restent jusqu’à deux fois plus élevés que les seuils de l’OMS. A titre d’exemple, la valeur limite pour le dioxyde d’azote est actuellement de 40µg/m3 (moyenne annuelle), alors que l’OMS fixe un seuil sanitaire de 10µg/m3 . La proposition de Directive envisage un seuil de 20µg/m3 en 2030.

L’objectif affiché de la proposition de Directive est pourtant d’intégrer au sein d’une Directive unique les dernières connaissances scientifiques. Ce sont justement ses nouvelles connaissances scientifiques qui ont conduit l’OMS à revoir ses seuils à la baisse.

Afin de justifier ce décalage, la Commission a développé une analyse coût-avantage et l’a confrontée à la faisabilité des mesures. Plusieurs options ont en effet été envisagées par la Commission, sur la base des projections réalisées :

  • Option 1 – alignement partiel avec les seuils de l’OMS
    • coût : 3.3 milliards d’euros
    • efforts additionnels pour atteindre l’objectif : légers – à défaut, non-respect des nouveaux seuils au niveau de 0.8% des points d’échantillonnage UE
    • bénéfice : 29 milliards d’euros
  • Option 2 – alignement rapproché avec les seuils de l’OMS
    • coût : 5.6 milliards d’euros
    • efforts additionnels pour atteindre l’objectif : moyens, à défaut, non-respect des nouveaux seuils au niveau de 6% des points d’échantillonnage UE (délais et exceptions à prévoir)
    • bénéfice : 36 milliards d’euros
  • Option 3 – alignement total avec les seuils de l’OMS
    • coût : 7 milliards d’euros
    • efforts additionnels pour atteindre l’objectif: importants, à défaut, non-respect des nouveaux seuils au niveau de 71% des points d’échantillonnage UE (seuils potentiellement non-atteints en raison de limites techniques de faisabilité)
    • bénéfice : 38 milliards d’euros

La proposition de Directive retient l’option numéro 2, un alignement rapproché, mais pas total.

Quels sont les « efforts » pris en compte par la Commission ?

Les projections de la Commission s’appuient sur son dernier rapport sur les « Perspectives en matière d’air pur ». Ces données ont été actualisées afin de prendre en considération les mesures déjà en vigueur ou à venir, destinées à avoir un impact sur la qualité de l’air (paquet « Fit for 55 », paquet « RePower EU »). Il a en effet été mis en évidence par la Commission que les incidences de la pollution atmosphérique sur la santé « seraient effectivement réduites de plus de 50 % d’ici à 2030 si les États membres mettaient en œuvre l’ensemble des actes législatifs adoptés entre 2014 et 2017 afin de réduire les émissions de polluants atmosphériques« . Ensuite, la Commission a pris en compte les données relatives « aux meilleures techniques disponibles » et les éléments issus de la proposition de révision de la Directive sur les émissions industrielles.

Sur la base de ces données, la Commission a effectué un bilan coût-avantage des différentes options puis l’a confronté à la faisabilité de mise en œuvre des mesures. Ainsi, les « efforts » pris en compte par la Commission s’apprécient au regard des « mesures techniques de réduction », c’est-à-dire celles qui ne nécessitent pas un changement technologique rapide ou un changement de comportement. Dès lors que des mesures complémentaires à celles permettant l’atteinte des objectifs des textes en vigueur sont nécessaires, il est considéré que la mesure implique un effort supplémentaire. L’option 3 est ainsi considérée comme réalisable uniquement par la mise en œuvre de mesures techniques de réduction et ne nécessite donc pas d’efforts particuliers. Les options 1 et 2 impliquent des mesures complémentaires. Plus spécifiquement, pour l’option 1, les technologies actuelles ne seraient pas suffisamment matures pour permettre l’atteinte des objectifs sans des mesures locales spécifiques, afin de cibler certaines sources d’émission (promotion des mobilités actives, restrictions liées à la combustion de biomasse), ou plus globales (changement des habitudes alimentaires).

Ainsi, une mesure présentant un bilan coût-avantage élevé n’a pas nécessairement été retenu par la Commission si les efforts devant conduire à sa mise en œuvre ont été considérés trop importants.

La Commission précise toutefois que son analyse serait susceptible d’évoluer si plusieurs indicateurs devaient également varier : changement de l’activité économique, modification des habitudes alimentaires, avancées technologiques ou encore des changements significatifs de notre système énergétique.

Seuils : une révision en-deça des ambitions affichées

La solution de compromis choisi par la Commission n’est finalement qu’une étape dans l’atteinte des objectifs affichés.

Il résulte de l’analyse de la Commission que l’alignement avec les seuils de l’OMS est exclu en partie car les États partent de trop loin pour que des seuils ambitieux soient fixés. Comment dans ce cas prétendre que les données scientifiques ont guidé cette proposition de Directive ? Si l’on peut comprendre que la maturité des technologies limite aujourd’hui l’atteinte des objectifs, il convient de rappeler que les nouveaux seuils substitueront les anciens en 2030, soit dans 7 ans. Il paraît prématuré de considérer, dès à présent, qu’aucune technologie ne permettra de réduire significativement la pollution de l’air. Par ailleurs, les mesures locales à mettre en œuvre pour atteindre les meilleurs résultats ne paraissent pas non plus insurmontables. Reste les changements globaux, comme ceux relatifs aux habitudes alimentaires. Rappelons que l’objectif « zéro pollution » est en tout état de cause fixé pour 2050. La Commission envisage donc que ces changements radicaux se produisent en tout état de cause. L’impulsion doit intervenir d’un côté. Sur ce point, l’expérience a démontré qu’elle était porteuse de plus de changements lorsqu’elle venait du côté européen.

Compte tenu des impacts connus de la pollution de l’air et de l’objectif européen de « zéro pollution » en 2050, ce décalage avec les seuils de l’OMS est peu compréhensible. Il consacre un nivellement par le bas des ambitions en matière de pollution de l’air, ce d’autant plus que la Commission elle-même considère que « la version actuelle des seuils de l’OMS ne peut pas être regardée comme une fin, une vision zéro pollution, dans une perspective de qualité de l’air » (étude d’impact de la proposition de Directive 1/4, page 24).

En toute hypothèse, l’amélioration de la qualité de l’air laisse entrevoir des gains économiques non négligeables (ou plutôt, des pertes économiques évitées) : diminution des dépenses de soins, amélioration du rendement des cultures, réduction de l’absence au travail, meilleure productivité au travail.

Si les seuils retenus ne seront pas nécessairement ceux de l’OMS, la Commission ne néglige toutefois pas l’après 2030. Elle envisage d’ailleurs l’alignement avec les futurs seuils fixés par l’organisation onusienne, probablement encore plus contraignants, ainsi qu’une revue des mécanismes pour assurer la prise en compte des données scientifiques les plus récentes.

Pourtant, alors que ces données sont d’ores et déjà connues, la Commission n’en tient que partiellement compte, rendant la démarche schizophrène.

L’atteinte du « zéro-pollution » en 2050 impliquera nécessairement un respect des seuils futurs fixés par l’OMS. La Commission ne détaille toutefois pas les moyens envisagés pour dépasser les obstacles techniques qui justifient aujourd’hui, selon elle, de retenir une option moins ambitieuse. Il est en conséquence tentant de voir dans l’objectif de « zéro-pollution » une mesure qui, étant très ambitieuse pour une échéance trop lointaine, relève davantage de la communication politique que de la norme juridique.

Public : le renforcement de l’information et du droit d’accès à la justice

L’information du public sur la qualité de l’air est un élément central de la proposition de Directive. La proposition prévoit notamment que les États membres devront établir un index de qualité de l’air, actualisé chaque heure pour les polluants les plus dangereux.

La Commission renvoie ensuite à des règlements d’application pour les modalités de reporting d’information sur les données relatives à la qualité de l’air et sa gestion.

S’agissant du contentieux relatif à la qualité de l’air, la nouvelle mouture de la Directive encadre notamment les recours engagés en raison du défaut d’élaboration d’un plan relatif à la qualité de l’air. Plus encore, la proposition de Directive prévoit un droit effectif à l’indemnisation en cas d’atteinte à la santé induit par le non-respect des valeurs limites.

Les dispositions dessinent également un droit à l’action collective et insistent sur le rôle de représentation des organisations non-gouvernementales dans le cadre de ces actions.

*

Une consultation du public sur la proposition de Directive est d’ores et déjà lancée et s’achèvera le 28 décembre prochain.

Cette proposition devra ensuite passer entre les mains des parlementaires européens.

Articles recommandés