Par un arrêt rendu le 25 mai 2022 et consultable ici, le Conseil d’Etat a suspendu la décision de non-opposition à une opération de rejets d’eaux fluviales dans le cadre de la réalisation du projet « Jardins de la Méditerranée », pour défaut d’évaluation environnementale.
Ce projet est porté par le département de l’Hérault, sur un terrain lui appartenant situé sur le territoire de la commune de Béziers. Il consiste notamment en la création de jardins destinés à accueillir environ 300 000 visiteurs par an, en la construction de divers bâtiments tels qu’un aquarium, une géode, un restaurant, un pavillon des vins, etc.
Pour mener à bien ce projet, le département de l’Hérault avait déposé, auprès du Préfet du département, une déclaration portant sur le rejet d’eaux fluviales, au titre de la rubrique 2.1.5.0 de la nomenclature « IOTA » (Installations, Ouvrages, Travaux et Aménagements ayant un impact sur l’eau et les milieux aquatiques). Conformément à ce que prévoit le code de l’environnement, l’absence d’opposition du Préfet à cette déclaration dans un délai de deux mois a donné lieu à une décision implicite de non-opposition à l’opération de rejet d’eaux fluviales.
L’association France Nature Environnement (FNE) a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de suspendre cette décision implicite. Sa demande ayant été rejetée, elle s’est pourvue devant le Conseil d’Etat, lequel a annulé l’ordonnance et statué sur le fond.
La décision rendue apparaît particulièrement intéressante tant au regard des aspects procéduraux qu’elle aborde que sur la notion d’évaluation environnementale.
I. L’arrêt du Conseil d’Etat met en lumière des réflexes procéduraux méconnus
Tout d’abord, la décision rendue par la Haute Assemblée nous semble digne d’intérêt en ce qu’elle met en lumière des instruments procéduraux rarement invoqués par les requérants, et exploités de manière astucieuse par l’association.
En effet, FNE avait demandé au juge des référés de suspendre la décision implicite du Préfet de l’Hérault sur trois fondements juridiques distincts.
Le premier fondement est le célèbre article L. 521-1 du code de justice administrative. Cet article permet de demander au juge des référés de suspendre toute décision administrative sous réserve de démontrer l’urgence à ce faire ainsi qu’un doute sérieux sur la légalité de la décision. Ce fondement juridique présente un inconvénient de taille : il nécessite de démontrer l’urgence s’attachant à la suspension de l’acte litigieux (contrebalancée par l’urgence pouvant s’attacher à son maintien), ce qui n’est pas toujours chose aisée.
L’association avait cependant pris soin d’invoquer deux autres fondements juridiques alternatifs au soutien de sa demande de suspension. Ces fondements s’avèrent moins connus des juristes en ce qu’ils se rattachent directement à la législation environnementale.
FNE avait ainsi motivé sa requête au visa de l’article L. 122-2 du code de l’environnement qui dispose : « Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d’approbation d’un projet visé au I de l’article L. 122-1 est fondée sur l’absence d’étude d’impact, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée. » Cet article renvoie au « référé étude d’impact », institué par le législateur dans le but de censurer les projets dépourvus de cette étape clé du processus d’évaluation environnementale.
Cette procédure permet ainsi d’assortir une requête en annulation d’une « autorisation » ou d’une « décision d’approbation » d’un projet, une demande de suspension de cet acte fondée sur le défaut d’étude d’impact.
A l’instar du référé-suspension cette procédure spécifique implique d’avoir saisi préalablement le juge du fond d’une demande d’annulation de l’autorisation ou de la décision d’approbation du projet. Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de préciser que la demande de suspension sur ce fondement peut être effectuée simultanément avec une demande de référé-suspension (CE, 6 juillet 2011, n°344746) et dans le même mémoire (CE, 5 décembre 2014, n° 369522). Mais, à la différence de la procédure de référé-suspension, aucune condition d’urgence n’est requise pour la procédure du référé « étude d’impact ».
France Nature Environnement avait également sollicité la suspension de la décision litigieuse au visa de l’article L. 554-11 du code de justice administrative, qui porte sur la « décision de suspension d’une autorisation ou d’une décision d’approbation d’un projet d’aménagement entrepris par une collectivité publique ». Cette disposition renvoie directement à l’article L. 123-16 du code de l’environnement, relatif au « référé enquête publique ». Ce référé concerne les décisions prises sans l’enquête publique ou la participation du public pourtant requises. L’invocation de ce fondement paraît cohérente avec le raisonnement développé par l’association. En effet, les projets soumis à enquête publique en vertu du code de l’environnement sont précisément ceux – sous réserve de quelques exceptions – qui nécessitent une étude d’impact (cf. art. L. 123-2 du code de l’environnement).
Finalement, c’est sur le fondement de l’article L. 122-2 du code de l’environnement que le Conseil d’Etat procède à l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Montpellier et à la suspension de la décision litigieuse.
II. La solution du Conseil d’Etat apparaît protectrice du mécanisme d’évaluation environnementale
Le Conseil d’Etat fait droit à la demande d’annulation de l’ordonnance après avoir constaté l’insuffisance de motivation de celle-ci. En effet, le juge des référés s’était borné à estimer qu’il ne résultait pas de l’instruction que le projet en cause nécessitait une évaluation environnementale, au regard notamment de son impact sur les milieux aquatiques ou les espaces forestiers. Ce faisant, le juge a occulté une partie de l’argumentaire développé par FNE, qui soutenait que le projet entrait dans la catégorie des projets soumis à évaluation environnementale prévue par la rubrique n°39 de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, relatif aux « opérations d’aménagement dont le terrain d’assiette est supérieur ou égal à 10 hectares. »
Statuant au fond, la Haute Assemblée va estimer que la décision de non-opposition à déclaration préalable d’opérations de rejet des eaux fluviales permet la réalisation d’un projet soumis à évaluation environnementale au titre de la rubrique n°39.
Le raisonnement suivi est intéressant à plusieurs égards.
1. Sur l’acception large de la notion d’autorisation ou d’approbation d’un projet
En premier lieu, le Conseil d’Etat devait tout d’abord trancher la question de savoir si une décision de non-opposition à déclaration préalable au titre de la réglementation « IOTA » constitue une « autorisation ou une décision d’approbation d’un projet » au sens de l’article L. 122-2 du code de l’environnement.
Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative à cette question et ce choix s’avère non seulement conforme au droit de l’Union européenne mais également protecteur du mécanisme d’évaluation environnementale.
Rappelons que le droit de l’évaluation environnementale est issu en grande partie du droit de l’Union européenne. En ce qui concerne l’évaluation environnementale des projets, le texte de référence est la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Selon la définition prévue par ce texte et reprise par l’article L. 122-1 du code de l’environnement, l’autorisation d’un projet est « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit au maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Étant précisé que la notion de projet est elle aussi définie de manière extensive ce même article : « la réalisation de travaux de construction, d’installations ou d’ouvrages, ou d’autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des ressources du sol. »
Ainsi, compte-tenu de ces définitions, il est assez logique que le Conseil d’Etat ait estimé que la décision de non-opposition à déclaration préalable d’opérations de rejets des eaux fluviales constitue une « autorisation ou une décision de projet » : non seulement cette décision permet la réalisation d’interventions dans le milieu naturel mais elle est également la condition sine qua none de la réalisation du projet global des Jardins de la Méditerranée.
2. Sur la qualification d’opération d’aménagement
En second lieu, il revenait au Conseil d’Etat de trancher la question de savoir si le projet dont la décision querellée permettait la réalisation aurait dû être soumis à évaluation environnementale au regard des critères et seuils fixés par la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement.
En particulier, il convenait de vérifier si le projet des Jardins de la Méditerranée correspondait à une « opération d’aménagement dont le terrain d’assiette est supérieur ou égal à 10 hectares », projet soumis à étude d’impact en vertu de la rubrique n°39 de la nomenclature.
La Haute Assemblée répond de nouveau à cette question par l’affirmative. Pour ce faire, elle se réfère à la présentation du projet des Jardins de la Méditerranée faite dans le dossier de déclaration préalable, lequel est défini comme une opération d’aménagement. Le Conseil d’Etat indique ensuite que l’ensemble du terrain d’assiette du projet présente une superficie de 19,31 hectares, et s’avère donc supérieure au seuil des 10 hectares.
Cette démonstration paraît assez logique au regard de la définition d’une opération d’aménagement. Ce terme n’a pas été défini par le pouvoir réglementaire au moment de la réforme de l’évaluation environnementale de 2016. Cependant des précisions ont été apportées par le Commissariat général au développement durable (CGDD), dans son guide de lecture de la nomenclature annexée à l’article R.122-2 du code de l’environnement. Selon le CGDD, la notion d’opération d’aménagement doit s’entendre « au sens de l’article L.300-1 et suivants du code de l’urbanisme. […] »
Cet article propose une définition large : « Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l’optimisation de l’utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser.
L’aménagement, au sens du présent livre, désigne l’ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d’une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l’alinéa précédent et, d’autre part, à assurer l’harmonisation de ces actions ou de ces opérations. »
Au sens de cette disposition, si un vaste panel d’actions semble pouvoir correspondre à une opération d’aménagement, le critère d’une initiative publique paraît être exigé. En l’espèce et à l’instar d’autres décisions dans lesquelles la qualification d’opération d’aménagement a été retenue [1], ce critère est rempli, le projet des Jardins de la Méditerranée étant porté par le département de l’Hérault. Au demeurant, certaines juridictions ont déjà considéré être en présence d’opérations d’aménagement pour des opérations de nature privée [2].
3. Sur l’approche globale de la notion de projet
La Haute Assemblée a décidé de considérer qu’une évaluation environnementale s’imposait préalablement à la décision de non-opposition à déclaration préalable d’opérations de rejets d’eaux fluviales, nonobstant le fait qu’un permis d’aménager et différents permis de construire devaient être délivrés par la suite pour que les Jardins de la Méditerranée puissent voir le jour.
Ce raisonnement est là encore conforme à la législation mise en œuvre en France sur impulsion du droit communautaire ; en ce sens l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement rappelle que « Les incidences sur l’environnement d’un projet dont la réalisation est subordonnée à la délivrance de plusieurs autorisations sont appréciées lors de la délivrance de la première autorisation. »
Cette exigence permet ainsi d’éviter le « saucissonnage » des projets dans le temps et en fonction des procédures mises en œuvre.
Cette approche globale se retrouve également dans les termes énoncés par l’article L. 122-1 du code de l’environnement : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. »
Le principe cardinal qui sous-tend ces dispositions est simple : c’est le projet global, indépendamment des procédures dont il relève, mais en fonction de sa nature, de sa dimension, du lieu dans lequel il sera développé, qui est susceptible d’avoir un tel impact sur l’environnement.
Précisément, si le Conseil d’Etat n’avait pas jugé en ce sens, il y a fort à parier qu’aucune évaluation environnementale n’aurait été menée pour les Jardins de la Méditerranée. En effet, le permis d’aménager dont l’existence était invoquée par le département de l’Hérault portait sur une superficie de moins de 5 hectares : du fait de cette superficie, ce permis aurait donc échappé à l’évaluation environnementale et même à l’examen au cas par cas au regard des seuils fixés par la rubrique n°39 de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Quant aux permis de construire, encore eut-il fallu que la surface de plancher ou l’emprise au sol qu’ils génèrent dépassent lesdits seuils.
Au final, l’arrêt du Conseil d’Etat apparaît comme un rappel à l’ordre salutaire quant à la démarche d’évaluation environnementale devant s’appliquer aux projets les plus impactants pour l’environnement.
[1] Ont ainsi été qualifiées d’opérations d’aménagement de plus de 10 hectares : la création d’un stade de football (CE, 20 octobre 2020, n°433404) ou la création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) (CAA Marseille, 3 décembre 2019, n° 18MA04328).
[2] Voir par exemple CAA Marseille, 15 févr. 2021, n° 20MA01044 (pour un projet de lotissement).