Dans une décision rendue le 20 mars 2024, le Conseil d’État, a contrôlé les conditions de saisine d’une commission consultative et exigé la preuve d’une consultative effective sur chaque disposition du projet de texte soumis pour avis.
Si l’arrêt a trait à une saisine particulière, celle de la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs (CIFREP), dans le cadre de l’adoption du cahier des charges de la filière des déchets diffus spécifiques, sa portée pourrait dépasser ce seul cadre.
Contexte de la décision
L’éco-organisme de la filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les déchets diffus spécifiques (EcoDDS), a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation partielle de l’arrêté du 1er décembre 2020 modifiant le cahier des charges des éco-organismes de cette filière. Dans le cadre de son arrêt du 20 mars 2024, le Conseil d’État a fait droit à cette demande en relevant l’irrégularité de la procédure de consultation pour avis de la CIFREP.
Le Conseil d’Etat a considéré que si le pouvoir réglementaire est chargé de saisir la CIFREP sur les projets d’arrêtés modifiant les cahiers des charges impartis aux éco-organismes, encore faut-il que celle-ci soit effectivement consultée.
Cadre juridique applicable à la saisine de la CIFREP
Dans le cadre de la REP, 25 filières créées par l’État, regroupent les grandes familles de produits générateurs de déchets dont les producteurs sont tenus d’assurer l’élimination. L’une des modalités de mise en œuvre de cette obligation consiste, pour ces producteurs, à créer des éco-organismes agréés par l’État, « dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière ».
L’agrément des éco-organismes est conditionné à la démonstration de leurs « capacités techniques et financières pour répondre aux exigences d’un cahier des charges » qu’ils s’engagent à respecter.
Aussi, l’article L.541-10 II du code de l’environnement prévoit que le cahier des charges est fixé par arrêté interministériel « après avis de l’instance représentative des parties prenantes de la filière », laquelle est, depuis un décret de 2020, la CIFREP.
Précisions quant aux conditions de saisine pour avis d’une commission consultative
Dans le cadre de l’arrêt commenté, le pouvoir réglementaire, qui souhaitait modifier le cahier des charges pour les filières DDS, était tenu de saisir la CIFREP sur ce projet. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait puisque celle-ci s’est réunie le 24 novembre 2020 comme l’atteste le compte rendu de cette réunion
Cependant, cette saisine n’était pas suffisante pour le Conseil d’État qui considère que la procédure de consultation n’a pas été respectée.
En effet, le juge, à la lecture du compte-rendu de la réunion, constate que la CIFREP « n’a pas été consultée sur le dispositif de majoration des barèmes applicables dans les collectivités des territoires d’outre-mer » introduit par l’arrêté[1].
Faute d’être contredit par le Ministère de la transition écologique, le Conseil d’état conclu que la société requérante est « fondée à soutenir que les dispositions qu’elle attaque ont été prises au terme d’une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l’annulation ».
Ainsi, alors que l’arrêté portant cahier des charges de la filière DDS avait déjà été annulé en juillet 2021 pour défaut de consultation du public, le Conseil d’État annule désormais partiellement l’arrêté modificatif, pour défaut de consultation effective de la CIFREP.
Cette décision est intéressante à plusieurs égards.
Le renforcement des exigences en matière de saisine pour avis
D’abord, le Conseil d’État précise que la CIFREP doit être consultée sur l’ensemble des points du projet d’arrêté. Il exige ainsi une saisine effective, la simple formalité de saisine de l’organe consultatif n’étant pas suffisante.
Par conséquent, au-delà du renforcement du rôle de la CIFREP, cette décision pourrait signifier l’intention du Conseil d’État de renforcer son contrôle sur l’effectivité des consultations de commissions administratives en général, et de sanctionner les saisines purement formelles de celle-ci. Il convient toutefois d’être prudent sur cette interprétation et d’attendre décision confirmative afin d’apprécier l’étendue de l’exigence formulée par le Conseil d’Etat.
Ensuite, le Conseil d’État se fonde sur l’étude d’un compte-rendu faisant état de la présentation du projet d’arrêté. Celui-ci ne mentionnait pas le sujet des barèmes dans les collectivités et territoires d’outre-mer.
Or, il s’avère que la CIFREP avait bien été mis en mesure de se prononcer sur la disposition en question, sans toutefois le mentionner dans le compte-rendu des débats.
Alors que le juge aurait pu considérer que l’absence de mention de cette question dans le compte-rendu signifiait seulement qu’elle n’avait pas suscité de débats lors de la réunion, il considère au contraire que cela traduit une absence de consultation de la CIFREP sur cette question. En opérant ainsi, le Conseil d’État semble suggérer qu’il incombe aux commissions consultatives de mentionner dans leurs comptes-rendus les débats sur l’ensemble des points du projet de texte soumis à leur consultation. Il ne s’agirait plus seulement d’indiquer les points qui ont suscité des difficultés.
Enfin, et spécifiquement pour la CIFREP, le Conseil d’État reconnait implicitement qu’en plus des arrêtés fixant le cahier des charges des éco-organismes, les arrêtés modificatifs de cahier des charges d’agrément d’éco-organismes doivent être également soumis à son examen.
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[1] Cette mesure impose à l’éco-organisme d’appliquer à ses barèmes de soutien un facteur de multiplication de 2,4 en Outre-mer. Cette majoration avait été ajoutée au cahier des charges en application de la loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec).