« Je veux que le Grenelle soit l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un New Deal écologique en France, en Europe, dans le monde. »[1]. C’est ainsi qu’en 2007, Nicolas Sarkozy, clôturait le Grenelle de l’environnement. Cet évènement politique visait à prendre des décisions de long terme en matière environnementale, notamment sur la question de l’usage des produits phytopharmaceutiques, communément appelés pesticides.
Le plan Ecophyto, créé à cette occasion[2] et conformément aux normes européennes[3], s’était fixé des objectifs ambitieux : Réduction de 50 % de l’usage des pesticides en dix ans, 50 % d’exploitations engagées en certification environnementale à l’horizon 2012 et 20 % de la surface agricole utile en agriculture biologique en 2020.
Dans ses trois versions successives[4], le Plan Écophyto est devenu l’un des maillons essentiels du projet agro-écologique national de la France, pays qui reste une grande nation agricole[5]. Il se base sur de nombreuses actions réglementaires (généralisation des « certiphytos »[6], interdiction de certaines substances…), d’accompagnement (subventions, notamment pour promouvoir les méthodes alternatives) et de financement de la recherche[7].
- L’échec des plans Ecophyto
Plus de 14 ans après le lancement du premier plan, et alors que 71 millions d’euros sont consacrés chaque année au plan Ecophyto[8], les résultats ne sont clairement pas atteints.
Ainsi, l’objectif initial de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques de 50 % en dix ans, reporté en 2016 à l’échéance 2025 et finalement reporté à 2030, assorti d’un objectif intermédiaire de – 25 % en 2020, a été perdu de vue : l’utilisation des produits, mesuré par l’indicateur NODU[9], a, au contraire, progressé de 14 % entre la période 2009 – 2011 et la période 2018-2020[10]. De même, la sortie du glyphosate, après avoir été annoncée pour 2020, a été finalement abandonnée après le renouvellement de son autorisation pour 10 ans au niveau européen[11].
Par ailleurs, en 2020, seulement 12 % des exploitations s’étaient engagées dans des projets labellisés économes en intrants.[12]
En résumé, la Cour des comptes, constatant que « les effets des plans Écophyto demeurent très en deçà des objectifs fixés » indiquait dans son référé[13] sur le bilan des plans Ecophyto que :
« Le nombre et la diversité des acteurs impliqués, l’insuffisante articulation du plan Écophyto avec plus d’une dizaine d’autres instruments de programmation portant des mesures relatives aux pesticides, la diversité des sources de financement et la généralisation des co-financements ou appels à projets ont conduit à développer une gestion administrative et financière si complexe qu’elle peut neutraliser les effets de l’impulsion nationale et, plus récemment, des initiatives régionales. »[14]
La Cour des comptes relève que les membres du comité d’orientation et de suivi des plans Ecophytos, dont le rôle était d’assurer leur bon déroulement, « ne se sont pas réunis une seule fois entre 2019 et 2023 ».
- La réforme « Ecophyto 2030 » mise « en pause » suite au mouvement des agriculteurs
Le gouvernement présentait en octobre 2023 les grandes lignes du plan Ecophyto 2030[15], qui était censé succéder à Ecophyto2+ à compter d’avril 2024. Parmi elles, Il proposait notamment de diminuer de 50% l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’horizon 2030[16], de renforcer la protection des « zones à enjeux » (aires de captage d’eau potable, zones Natura 2000, zones de non-traitements[17]) et les pratiques agroécologiques (en renforçant par exemple la formation initiale et continue du Certiphyto)[18].
Par ailleurs, le gouvernement s’engageait à défendre l’homogénéisation des règles et des contraintes d’utilisation des produits phytopharmaceutiques à l’intérieur de l’UE et à l’extérieur avec l’instauration de « mesures miroir ». Cet engagement aurait eu vocation à protéger le marché intérieur à l’égard des produits ne respectant pas les standards européens en matière de préservation de la santé et de l’environnement.
Cependant, la contestation agricole du mois de janvier à conduit le Premier ministre à placer ce nouveau plan « sur pause », « le temps de mettre en place un nouvel indicateur « [19]. En effet parmi les revendications du mouvement agricole, figurait la critique de la « lourdeur des normes environnementales » et plus particulièrement de la norme NODU qui mesure actuellement l’usage des pesticides.
L’indicateur de référence, qui repose à ce jour sur la norme NODU, s’annonçait donc comme un enjeu enjeux majeur dans la mise en œuvre du nouveau plan Ecophyto 2030.
Or, afin d’apaiser la contestation agricole, le gouvernement a annoncé son souhait, à la demande de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de remplacer l’indicateur NODU par le «HRi1 » ou Harmonized Risk Indicator. Cet indicateur calcule les quantités de substances utilisées en les pondérant par un coefficient censé refléter leur dangerosité (lié à leur classification toxicologique). Le gouvernement a expliqué ce choix par le fait que l’indicateur NODU ne prendrait en compte que les volumes utilisés. Il ne permettrait pas de distinguer entre les produits les plus à risques, qui s’utilisent en petites quantités, et les solutions de substitution à plus faible impact, qui s’utilisent en plus grand volume. Le gouvernement a cependant affirmé que l’indicateur NODU figurerait toujours malgré tout dans un « panel d’indicateurs » d’Ecophyto 2030.
Plusieurs ONG et la Confédération paysanne s’opposent à ce changement[20], considérant que le coefficient utilisé ne prendrait pas suffisamment en compte la dangerosité des pesticides[21]. Ainsi, alors que le NODU permettait de fournir une vision objective de la dépendance de notre agriculture aux pesticides en générale, indépendamment de leur dangerosité, le HRi1 se focalise uniquement sur les pesticides les plus toxiques, sans pour autant que le coefficient de dangerosité puisse assurer son rôle pondérateur. Dès lors, le HRi1 permettrait au gouvernement de faire état d’une baisse de l’indicateur sans toutefois que l’usage des pesticides accuse en réalité une telle baisse. Elles indiquent par exemple qu’entre 2011 et 2021, en France, « le Nodu agricole a augmenté d’environ 3% alors que le HRI1 a baissé de 32% »[22].
Dans un rapport de février 2020[23], la Cour des comptes européenne critiquait déjà le HRi1 que la Commission Européenne proposait de retenir au niveau européen : « Les coefficients de pondération choisis ont pour effet d’augmenter la réduction estimée des risques résultant de la baisse des ventes de substances à haut risque. L’indicateur ne montre pas dans quelle mesure la directive [2009/128/CE visant à réduire les risques et les effets de l’utilisation des pesticides sur la santé humaine et l’environnement] a permis d’atteindre l’objectif de l’UE en matière d’utilisation durable des PPP ».
En dépit de ces alertes, le gouvernement a annoncé le 21 février l’abandon de l’indicateur NODU au profit du HRi1, tout en réaffirmant l’ambition de réduire l’usage des pesticides de 50% d’ici 2030. Le gouvernement abandonne ainsi l’indicateur qui permet de faire état de la dépendance à aux pesticides, pour ne s’attacher qu’aux coefficients de dangerosité, lesquels sont eux-mêmes décriés.
La question des pesticides est l’une des questions écologiques des plus prégnantes alors qu’il existe un consensus scientifique[24] [25] [26] sur la nécessité de réduire notre dépendance aux intrants chimiques.
Comme le souligne la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les pesticides, clôturée fin 2023« les objectifs de diminution de 50 % de pesticide sont conciliables avec les autres attendus – sécurité alimentaire et climatique – mais à la condition sine qua non d’une reconception profonde des systèmes agricoles ».
La refonte du système agricole est une gageure pourtant indispensable pour assurer la capacité des agriculteurs à percevoir plus justement le fruit de leur travail, enrayer une perte de la biodiversité dont nous dépendons étroitement et remédier à la catastrophe sanitaire qui résulte de l’utilisation des pesticides.
[1] Discours de Nicolas Sarzoky à l’issue du Grenelle de l’environnement http://www.adequations.org/spip.php?article496
[2] Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (article 31)
[3] Le « plan d’action national » requis par la directive cadre européenne n° 2009/128/CE, instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable
[4] Écophyto 2018 (2009-2015), Écophyto II (2016-2018), Écophyto II+ présenté le 10 avril 2019
[5] Avec une production agricole estimée à 81,6 milliards d’euros en 2021, la France demeure le principal producteur européen avec près de 17% de la production totale du continent loin devant l’Allemagne et l’Italie. : https://www.vie-publique.fr/rapport/286582-rapport-d-information-sur-la-competitivite-de-la-ferme-france
[6]Document nominatif délivré sous conditions qui atteste de connaissances suffisantes pour utiliser les produits phytopharmaceutiques en sécurité et en réduire l’usage
[7] Appels à projets de recherche, financement de la recherche public
[8] https://agriculture.gouv.fr/le-plan-ecophyto-quest-ce-que-cest : variété des sources de financement : prélèvement sur la redevance pour pollutions diffuses, crédits budgétaires de l’État issus de plusieurs missions et programmes, crédits européens du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER)
[9] Indicateur qui correspond à un nombre de traitements « moyens » appliqués sur l’ensemble des cultures en France. Il s’affranchit des substitutions de substances actives par de nouvelles substances efficaces à plus faible dose puisque, pour chaque substance, la quantité appliquée est rapportée à une dose unité qui lui est propre
[10] https://naturefrance.fr/indicateurs/evolution-de-la-consommation-de-produits-phytosanitaires-en-usage-agricole
[11] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_23_5793
[12] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200204-refere-S2019-2659-bilan-plans-ecophyto.pdf, page 3
[13] Communication adressée par le Premier président de la Cour des comptes à un ministre pour lui faire part des observations formulées par la Cour à l’issue d’un contrôle.
[14] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200204-refere-S2019-2659-bilan-plans-ecophyto.pdf
[15] https://agriculture.gouv.fr/planification-ecologique-le-gouvernement-lance-la-consultation-des-parties-prenantes-sur-la
[16]La date de référence reste cependant encore inconnue…
[17] Les Zones de Non-Traitement (ZNT) sont des distances de sécurité à respecter vis à vis des éléments environnants et tout particulièrement des habitations, des lieux hébergeant des personnes vulnérables ou fréquentées par des travailleurs et des cours d’eau.
[18] Pour l’intégralité des mesures qui étaient proposées dans l’Ecophyto 2030 : https://www.pleinchamp.com/actualite/ecophyto-2030-1-imperatif-3-ambitions-6-axes-d-action
[19] https://www.banquedesterritoires.fr/troisieme-saleve-de-mesures-pour-lagriculture-ce-quil-faut-retenir-pour-les-collectivites
[20] https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2024/02/declaration-commune-des-organisations-cos-ecophyto.pdf
[21] Générations futures démontre que la toxicité des pesticides conventionnels est systématiquement sous-estimée lorsque le HRI 1 est appliqué. Par exemple, le danger des pesticides de type néonicotinoïde sont sous-estimés, en raison d’une corrélation inverse entre la toxicité des substances actives pesticides et leurs taux d’application par hectare. De plus, les pesticides qui restent autorisés en bio sont souvent à fort grammage par hectare. Le rapport de dangerosité de 1 à 64 est insuffisant pour compenser ces forts grammages, aboutissant à un résultat qui évolue négativement si le bio se développe.
[22] Calcul réalisé par Générations Futures sur la base des données fournies par la Commission européenne : https://food.ec.europa.eu/plants/pesticides/sustainable-use-pesticides/farm-fork-targets-progress/member-states-trends_en#France
[23] Cour des comptes européennes, février 2020 rapport « Utilisation durable des produits phytopharmaceutiques : des progrès limités dans la mesure et la réduction des risques »
[24] https://ecophytopic.fr/sites/default/files/2023-04/Planche_3Sc%C3%A9narios_FR_page.pdf
[25] https://www.cne.developpement-durable.gouv.fr/avis-sur-le-projet-de-strategie-ecophyto-2030-a1219.html
[26] https://www.avis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr/avis-rendus-en-2024-par-le-cnb-a400.html