Saisie en 1er ressort par des associations et des habitants de Saint-Denis inquiets des conséquences manifestement néfastes du projet du système d’échangeurs Pleyel/ Porte de Paris, la Cour administrative d’appel de Paris a rendu son arrêt le 22 octobre 2020 et écarté l’ensemble des moyens soulevés à l’encontre du projet.
Il est à noter que si la décision de la Cour est particulièrement longue, ce n’est pas dû à une justification particulièrement étoffée de sa part mais en raison des nombreux moyens soulevés à l’encontre de la légalité du projet, auxquels la Cour était tenue de répondre.
Pour mémoire, le 5 mai dernier, le juge des référés de la même Cour avait relevé des doutes sérieux quant à la légalité du projet. Depuis, le Ministère de la transition écologique n’a apporté aucun élément nouveau de nature à remettre en cause ces doutes sérieux.
Les principales critiques à l’encontre du projet concernent, d’une part, les multiples insuffisances de l’étude d’impact, laquelle ne concernait que le projet d’échangeurs, et les impacts négatifs du projet sur la qualité de l’air au niveau de zones sensibles.
S’agissant du premier de ces principaux moyens il était soutenu que le projet d’échangeurs s’inscrivait dans le cadre plus global de nombreux travaux présentant, entre eux, un lien fonctionnel, et notamment un lien avec les Jeux olympiques de 2024.
Le maître d’ouvrage, qui qualifie d’ailleurs les échangeurs « d’ouvrages olympiques », a fait part dans ses arguments en défense de sa crainte de voir la suspension du projet par le juge des référés en mars 2020 porter atteinte au bon déroulé des JO.
Compétente sur le fondement du Décret relatif aux JO, la Cour a pourtant réfuté le fait que les échangeurs, intégralement financés par la société de livraison des Jeux Olympiques (SOLIDEO) aient pour finalité les jeux olympiques.
Bien qu’il soit admis qu’ils servent à la jonction entre le village olympique et les ouvrages sportifs, qu’ils aient des impacts communs avec le Franchissement Urbain Pleyel et divers autres projets en cours sur le territoire, notamment d’un point de vue sanitaire, la Cour a considéré que le fait qu’ils puissent avoir une finalité propre impliquait de les considérer isolement.
Cette appréciation est contraire à la notion de « projet » et à la nécessité d’appréhender globalement les impacts de travaux ayant un lien de connexité.
L’article L.122-1 du Code de l’environnement indique en effet : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité ».
Le seul fait que l’une des composantes d’un projet puisse avoir une finalité qui lui est propre ne saurait dissoudre son lien fonctionnel avec le reste du projet, sans quoi le « saucissonnage » abusif des projets d’infrastructures serait à nouveau permis afin d’en amoindrir artificiellement les impacts environnementaux. C’est pourtant la position que semble adopter la Cour aujourd’hui.
A ce sujet, l’autre critique majeure du projet repose sur ses impacts sanitaires négatifs et sur la dégradation de la qualité de l’air qu’il entraînera au niveau de zones sensibles (crèches, écoles…).
A ce titre, il était relevé par les requérants l’absence de mesures visant à éviter, réduire ou compenser les effets néfastes du projet.
Le maître d’ouvrage se contentait de proposer des solutions qu’il jugeait inefficaces dans sa propre évaluation environnementale (haies végétales à l’impact « probablement faible » sur la réduction de la pollution et la pose de revêtements photocatalytiques à « l’efficacité pratiquement nulle » notamment) et de renvoyer à la signature d’un hypothétique protocole de suivi de la qualité de l’air pour satisfaire à son obligation.
D’ailleurs, la DiRIF indiquait dans son étude d’impact « qu’aucune de ces solutions actuelles en matière de protection envers la pollution atmosphérique (haies végétales, écrans anti-bruit, revêtements catalytiques, asphaltes poreux, etc.) ne peut être préconisée dans l’objectif de réduire efficacement la pollution atmosphérique ».
Si la dégradation de la qualité de l’air au niveau de ces zones n’est pas contestée par la Cour, celle-ci s’est manifestement satisfaite des techniques inefficaces proposées par le maître d’ouvrage, tout en relevant le caractère incertain de leurs résultats. La Cour a également justifié l’acceptabilité de cette dégradation, très importante au niveau de certaines zones, par la « légère amélioration » de la qualité de l’air au niveau d’autres zones.
Plutôt que de sanctionner un projet, dont la version retenue est la plus défavorable à la qualité de l’air, afin d’en élaborer un nouveau, favorable à tous, la Cour a condamné les enfants fréquentant les nombreuses zones sensibles qui seront impactées.
La Cour administrative d’appel de Paris envoie donc un message aux maîtres d’ouvrages : ne vous préoccupez pas des impacts de vos projets sur la qualité de l’air ni des mesures compensatoires à mettre en place, seules suffisent les intentions et les constats d’échec qui figurent dans l’étude d’impact.
La Cour conclut en considérant que les nuisances en matière de bruits et de qualité de l’air sont inhérentes aux travaux de voirie et qu’ainsi, ils ne peuvent pas être considérés comme excessifs par rapport aux avantages socio-économiques que l’opération présente. Ces avantages, la Cour ne les justifient pas davantage.
Au mépris du droit européen, au mépris du droit de chacun à vivre dans un environnement sain, au mépris de l’avis de l’autorité environnementale de janvier 2019 sur les infrastructures routières qui critiquait les études d’impact du type de celle de l’échangeur, la Cour a jugé qu’un projet prévoyant une sortie d’autoroute devant une école maternelle, sans aucune mesure efficace de réduction de ses effets néfastes, était acceptable.
Une décision contraire de la Cour aurait bouleversé le planning des travaux. Cette décision-là est scandaleuse tant elle va à l’encontre des obligations de la France en matière de réduction de la pollution de l’air.
Contrairement à ce qu’a pu indiquer le Ministère, cette décision n’est favorable à personne et il sera contraint de l’admettre lorsque l’Etat devra indemniser les victimes de la pollution de l’air, en raison de sa carence fautive.
C’est par le mépris que la Cour a répondu aux requérants, le même mépris que l’administration leur a opposé depuis les premières discussions relatives à ce projet mortifère.
Pour mémoire, en France, au moins 48.000 personnes meurent chaque année de la pollution de l’air.
Au nom des Jeux Olympiques, la Cour a détourné son regard des dionysiens.