Identification du détenteur des déchets en cas de pluralité d’acteurs

Par un jugement n°2300246 rendu le 17 juin 2025, le Tribunal administratif de Limoges s’est prononcé sur l’épineuse question de l’identification du « détenteur » des déchets, au sens des articles L. 541-2 et L. 541-3 du code de l’environnement.

Contexte de l’affaire :

La société Aliapur, créée en 2003 par les grands fabricants de pneumatiques (Michelin, Bridgestone, etc.), était chargée de l’enlèvement et du traitement des pneus usagés pour leur compte.

A compter de l’année 2004, Aliapur a confié des déchets pneumatiques à la société LE2000, exploitant un site de traitement de pneus à Bugeat (Corrèze), aux fins de valorisation et d’élimination. Une partie de ces déchets de pneumatiques confiés par Aliapur a également été entreposée sur un site situé à Viam (Corrèze), géré par l’entreprise GMC.

LE2000 et GMC ayant été liquidées, des milliers de tonnes de pneus usagés sont restés entreposés sur les sites de Bugeat et de Viam depuis 2007, créant un risque environnemental notable.

Par un arrêté du 13 janvier 2023, la société Aliapur a été mise en demeure par le préfet de la Corrèze de procéder à l’enlèvement et au traitement d’une partie importante de déchets de pneumatiques stockés sur les sites de Bugeat et de Viam. Aliapur a contesté la légalité de cette décision devant le Tribunal administratif de Limoges.

Ce dernier a rejeté le recours de la société Aliapur, confirmant l’appréciation du préfet quant à sa qualité de détentrice des déchets de pneumatiques.

Raisonnement adopté par le Tribunal :

Le Tribunal administratif devait se prononcer sur la question de savoir si la société Aliapur pouvait être considérée comme détentrice des déchets pneumatiques qu’elle avait pourtant confié aux entreprises LE2000 et GMC aux fins de valorisation et d’élimination.

Les premiers juges ont tout d’abord rappelé les dispositions de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, qui disposent que :

« Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre.

Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. »

Le Tribunal a ensuite indiqué : « Deuxièmement, il résulte des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement que le producteur ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination. La seule circonstance qu’il a passé un contrat avec un tiers en vue d’assurer celle-ci ne l’exonère pas de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu’au terme de l’élimination des déchets. »

Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de l’arrêt SMIR rendu le 13 juillet 2006 par le Conseil d’Etat :

« Considérant que la SOCIÉTÉ MINIERE ET INDUSTRIELLE DE ROUGE (SMIR) avait fait valoir devant le juge des référés que la circonstance qu’elle avait, par contrat passé avec la société SOFRED, transféré les déchets en cause à cette société en vue de leur élimination et réglé la facture correspondant à celle-ci faisait obstacle à ce que sa responsabilité fût engagée en ce qui concerne le résultat des opérations ainsi mises à la charge de son co-contractant, dès lors d’une part qu’elle ne pouvait plus être regardée comme détentrice des déchets au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, d’autre part que la mise en liquidation judiciaire de la société SOFRED ne permettait pas d’exonérer celle-ci de la responsabilité qui lui revenait dans l’élimination des déchets ;

Mais considérant qu’il résulte des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement que le propriétaire ou le détenteur des déchets a la responsabilité de leur élimination ; que la seule circonstance qu’il a passé un contrat en vue d’assurer celle-ci ne l’exonère pas de ses obligations légales auxquelles il ne peut être regardé comme ayant satisfait qu’au terme de l’élimination des déchets ; […] » (CE, 13 juillet 2006, n°281231, SMIR)

Pour considérer qu’Aliapur était demeurée détentrice des déchets, la juridiction a pris en considération les éléments suivants :

  • Aliapur a été spécialement créée pour assumer les obligations environnementales des producteurs de pneumatiques qui l’ont instituée en vertu de l’article 12 du décret du 24 décembre 2002, et notamment l’élimination des pneumatiques usagés. A cet égard, « elle était nécessairement investie de missions qui excédaient sensiblement celles d’un simple collecteur ou transporteur de déchets. »
  • Même dépourvue d’agrément formel en tant qu’éco-organisme, Aliapur agissait comme tel et était investie de la responsabilité de la gestion et de l’élimination des déchets de pneumatiques.

Selon le jugement : « Dès lors, la société Aliapur, qui, en reprenant à ses clients les pneumatiques usagés, est nécessairement devenue détentrice de ceux-ci, n’a pas perdu cette qualité du seul fait qu’elle a passé avec la société LE2000 un contrat de prestations de services en vue de l’élimination de ces pneumatiquesComme il est soutenu en défense, elle ne pourrait être regardée comme ayant satisfait à ses obligations légales que si elle justifiait de l’élimination ou de la valorisation effective de ces déchets pneumatiques. »

Puis, pour achever de considérer que le préfet a, à bon droit, désigné la société Aliapur comme détentrice des déchets, le Tribunal ajoute :

« […] Toutefois, d’une part, dès lors qu’elle n’a pas satisfait à ses obligations légales d’élimination ou de valorisation effective des déchets pneumatiques et qu’il est par ailleurs constant que les sociétés LE2000 et GMC sont devenues définitivement défaillantes eu égard, notamment, à la clôture des liquidations judiciaires concernant ces mêmes sociétés, la société Aliapur doit nécessairement être regardée, à la date de l’arrêté litigieux, comme la détentrice « actuelle », à hauteur de 67,2 %, des déchets qui étaient toujours stockés sur les sites de Bugeat et de Viam. D’autre part, et en tout état de cause, il ne résulte d’aucune disposition, notamment de l’article L. 541-3 du code de l’environnement, que seul le détenteur « actuel » des déchets pourrait être mis en demeure, sur ce fondement, d’en assurer une gestion conforme aux règles environnementales, ces mêmes dispositions permettant au contraire, au sein de la chaîne de responsabilité, de poursuivre un détenteur antérieur si celui-ci a méconnu les prescriptions du code de l’environnement en abandonnant, en gérant ou en déposant des déchets contrairement à ces prescriptions, ce qui est le cas de la société requérante. »

Le raisonnement développé dans ce dernier considérant soulève à notre sens des interrogations sur la cohérence d’ensemble de la solution retenue. En effet, en qualifiant la société Aliapur de « détenteur antérieur » des déchets, le Tribunal administratif insinue que les entreprises LE2000 et GMC ont été, pendant un temps et jusqu’à leur liquidation, détentrices des pneumatiques usagés. Ce qui vient, à nos yeux, contredire la première affirmation de la Juridiction selon laquelle Aliapur n’a jamais cessé d’être détentrice des déchets au regard de son statut et des obligations qui lui ont été conférées par les producteurs, nonobstant le contrat conclu avec les sociétés défaillantes.

Du fait de cette ambiguïté, la solution retenue par la juridiction limougeaude laisser perdurer un certain nombre de questionnements sur les critères précis devant permettre d’identifier le détenteur de déchets en présence d’une pluralité d’acteurs intervenant dans le processus de traitement et d’élimination de ces déchets.

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