Protection du loup : ouverture d’une enquête par le médiateur européen

A l’automne 2023, la Commission européenne a manifesté son intention de proposer un affaiblissement du statut de protection du loup au niveau de l’Union européenne. Cette proposition a été validée en septembre 2024 par le Conseil de l’Union européenne, en perspective de la 44e réunion du comité permanent de la Convention de Berne qui se tiendra du 1er au 6 décembre 2024 à Strasbourg. Jugeant la procédure suivie irrégulière et en l’absence de données scientifiques venant soutenir cette décision politique, l’ONG ClientEarth a saisi le médiateur européen (Ombudsman) en septembre dernier. Cette dernière a estimé la plainte recevable et a ouvert une enquête le 28 octobre.

Cet article revient sur le régime juridique applicable au loup, retrace l’historique de cette proposition de révision, fait le point sur les dernières données publiées sur l’espèce et envisage les conséquences de cette saisine du médiateur européen.

Précisions quant au régime de protection du loup

Le loup figure à l’annexe II de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe datant de 1979, qui énumère les espèces de faune strictement protégées.

L’Union européenne étant partie contractante à la Convention de Berne, elle a logiquement adopté des mesures pour protéger le loup en le classant à l’annexe IV de la Directive « Habitats » qui recense les espèces strictement protégées.

Cette protection stricte a pour effet d’interdire sa capture, sa mise à mort, sa perturbation intentionnelle mais également son commerce (article 6 de la Convention de Berne ; article 12 de la Directive « Habitats »).

Toutefois, à titre dérogatoire et pour certains motifs limitativement énumérés, comme la prévention de dommages importants aux élevages, des autorisations de tir de loup peuvent être délivrées (article 16 de la Directive « Habitats »).

Ces dérogations ne doivent pas nuire au maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle. Elles ne peuvent par ailleurs être délivrées qu’en l’absence d’autres solutions satisfaisantes.

Dérogation à la protection du loup en droit français

En France, ce sont les préfets de département qui délivrent ces dérogations selon des modalités fixées par un arrêté ministériel du 21 février 2024. En toute hypothèse, celles-ci doivent respecter un plafond annuel de loups susceptibles d’être tués au niveau national. Depuis un arrêté ministériel du 23 octobre 2020, ce plafond est fixé à « à 19 % de l’effectif moyen de loups estimé annuellement« , étant précisé que le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup (préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes) est susceptible de rehausser ce plafond de 2% supplémentaires en cas d’atteinte du premier plafond avant la fin de l’année civile.

La mise en place de ce mécanisme de tirs visant à prévenir les dégâts n’a été précédé d’aucune étude sur son efficacité. Les scientifiques (voir ici et ici) ont pu remettre en cause l’efficacité des abattages pour prévenir les dégâts, insistant sur la nécessité de prendre en considération les spécificités de chaque contexte local. En effet, dans certains cas, les tirs peuvent s’avérer contre-productif et accentuer la prédation et/ou la reporter sur des territoires voisins.

Les chiffres officiels disponibles confirment l’impossibilité de conclure à l’efficacité des tirs : depuis 2017, le nombre de victimes de prédation attribué au loup est stable alors même que le nombre de loups présents sur le territoire est passé de 360 à 1003 en 6 ans.

Par ailleurs, il est souvent reproché à la politique nationale élaborée de ne pas suffisamment mettre l’accent sur les moyens de protection des troupeaux, qui se sont pourtant révélés efficaces dans les pays voisins (voir ici et ici).

Si le financement des mesures de protection est significatif en France, l’accompagnement des éleveurs dans leur mise en œuvre est jugé insuffisant.

A côté de cela, l’appréhension des données scientifiques sur la viabilité de l’espèce par le pouvoir réglementaire est problématique.

Cela ressort dès les premières lignes du Plan Loup 2024-2029. Le ministre de transition écologique y indique « nous nous félicitons [que la population de loups en France] ait atteint grâce aux précédents plans le seuil de viabilité démographique, fixé à 500 adultes matures« .

Cette affirmation est erronée et entretient la confusion sur le sujet puisque le seuil de viabilité démographique n’est en réalité pas atteint en France.

En effet, en 2023, il a été estimé que 1003 spécimens de loups au total étaient présents sur le territoire français.

Toutefois, le seuil de viabilité démographique n’est pas équivalent à la population totale de loups.

Le seuil de viabilité démographique correspond à ce qui est appelé la « taille efficace ». Celle-ci correspond au nombre minimal de spécimens reproducteurs nécessaires pour minimiser l’impact de la consanguinité à court terme. Il est considéré qu’une taille efficace de 500 loups reproducteurs correspond à un minimum absolu (en réalité, une « taille efficace » d’a minima 1000 reproducteurs est plutôt recommandée). Or, pour atteindre cette « taille efficace » de 500 reproducteurs, la population totale de loups doit être composée de 2500 à 5000 spécimens au total.

Avec une estimation totale de 1003 loups sur le territoire, la population lupine française n’a pas pu atteindre la « taille efficace » de 500 loups reproducteurs.

Ainsi, la population française de loups est deux à cinq fois inférieure au seuil permettant d’assurer la viabilité génétique de la population.

Les critères de classement de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) envisagent des critères du même ordre : l’atteinte d’un seuil de 1000 individus matures est nécessaire pour classer une espèce comme non vulnérable.

Malgré ces données, la volonté d’affaiblir la protection du loup au sein de l’Union européenne a fait son chemin avant de trouver un écho favorable auprès de la Commission européenne très récemment.

Historique de la proposition de révision du statut de protection du loup

Le 24 novembre 2022, le Parlement européen a voté une résolution sur la protection des élevages de bétail et des grands carnivores en Europe par laquelle il « invite la Commission à effectuer régulièrement des évaluations des données scientifiques permettant d’adapter le statut de protection de l’espèce dès que l’état de conservation souhaité est atteint ».

Le 4 septembre 2023, la Commission européenne a publié un communiqué incitant les autorités locales à mobiliser les dispositifs de dérogation permettant le tir de loups et à recueillir les données en vue de l’examen de son état de conservation.

La présidente Ursula Von der Leyen indiquait alors que « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme ». Cette déclaration a suscité l’étonnement, alors qu’aucune attaque de loups sur les humains n’a été recensée en Europe depuis plus de 40 ans.

Dans son communiqué de presse, la Commission n’a laissé qu’un délai de 18 jours aux « communautés locales, les scientifiques et toutes les parties intéressées » pour soumettre « des données actualisées sur les populations de loups et leurs impacts ». Il s’agit d’un délai extrêmement court pour obtenir et compiler toutes les données nécessaires à l’appréhension d’un sujet si sensible et si souvent mal appréhendé.

Si l’abaissement du statut de protection du loup est une demande régulière de certains eurodéputés conservateurs depuis plusieurs années, cette prise de position formelle de la Commission concorde également avec la mort du poney de la présidente de la Commission européenne, Madame Von der Leyen, en septembre 2022. Son poney a été tué par un loup, ce qui a donné lieu à la délivrance d’une autorisation de tir spécifique dans la région d’Hanovre. Qu’il s’agisse ou non d’un hasard de calendrier, les demandes d’assouplissement formulées depuis plusieurs années ont cette fois-ci reçu un accueil favorable de la Commission.

Les données recueillies par la Commission

En décembre 2023, la Commission a publié un rapport ayant vocation à synthétiser les connaissances sur le loup à travers l’Europe. Celui-ci a été établi sur la base des informations qui lui ont été transmises pendant la période de consultation ayant suivi son communiqué.

Si celui-ci fait état de l’accroissement du nombre de loups sur le territoire européen, il met surtout en évidence sa « faible densité de population » et les forts écarts de densités au sein des pays européens, « ce qui rend difficile l’obtention d’une vision globale claire et la comparaison des chiffres« . Il relève toutefois que « Certaines populations européennes sont encore petites et ne comptent pas toutes plus de 1 000 individus matures (seuil en dessous duquel une population serait répertoriée comme « vulnérable » au titre du liste rouge de l’UICN) » (page 24). Pour rappel, la France compte à peine 500 individus matures, de sorte que l’espèce y est bien vulnérable.

S’agissant de l’impact de la prédation du loup sur le bétail, le document indique qu’elle serait de l’ordre de 0,065% annuellement à l’échelle de l’Europe, ce qui est qualifié de « très faible« . Il indique également que dans certaines régions d’Allemagne accueillant des densités importantes de loups, la mise en œuvre de mesures de protection adéquates a permis de « réduire significativement les attaques sur le bétail« . Ce rapport rappelle qu’en France, les études censées démontrer le rôle des tirs sur la déprédation n’ont pas été concluantes.

Autrement dit, ce rapport n’est pas de nature à justifier une remise en cause du statut de protection du loup à l’échelle européenne. Il indique au contraire que « les règles existantes en matière de dérogations permettent de mettre en balance différents intérêts et les objectifs de conservation de la directive » (page 14). Il insiste par ailleurs sur la nécessité de prendre en compte les particularités de chaque région et les contextes locaux.

En dépit des éléments du rapport qu’elle a commandé, la Commission s’est engagée dans un processus de remise en question du statut de protection du loup.

Protection du loup: la proposition de la Commission

Le 20 décembre 2023, la Commission européenne a présenté une proposition de décision au Conseil de l’Union européenne afin que celui-ci soumette, au nom de l’Union européenne, une proposition d’amendement de la Convention de Berne visant à abaisser le niveau de protection du loup en vue de le retirer de l’annexe II (protection stricte) et de l’inscrire à l’annexe III (protection limitée au maintien des populations hors de danger, mais exploitation possible sans besoin d’une dérogation).

Cette proposition est principalement motivée par:

  • l’accroissement du nombre de loups en Europe et son expansion géographique, dont on relèvera qu’ils sont pourtant les objectifs de tout mécanisme de protection ;
  • les déprédations imputées à l’espèce, qui auraient impactées « l’acceptabilité de l’espèce dans certaines régions de l’Union européenne » et ceci alors même qu’elles sont considérées comme « très faible« .

La Commission admet toutefois que « l’impact du loup sur le cheptel est petit au niveau de l’UE et les dommages globaux causés au bétail semblent tolérables au niveau des pays». Si elle insiste sur les pressions locales, elle fait principalement état des « conséquences émotionnelles » pour les éleveurs ainsi que des « conséquences économiques indirectes difficiles à quantifier », qu’elle ne détaille pas.

Autrement dit, non seulement la Commission ne fonde sa proposition que sur un nombre de loups au niveau européen, sans distinguer selon les États et sans référence à la moindre donnée sur la viabilité de l’espèce, mais elle reconnaît le faible impact économique des déprédations. Elle ne prend pas davantage la peine de s’engager dans une démonstration de l’efficacité des abattages de loups sur les déprédations.

Le 23 septembre 2024, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision favorable à la proposition de la Commission. Il a permis à cette dernière de soumettre la proposition de modification du statut du loup au secrétariat de la Convention de Berne en perspective de la 44e réunion du comité permanent de la Convention de Berne qui se tiendra qui se tiendra du 1 au 6 décembre 2024 à Strasbourg.

Protection du loup : processus de décision du comité permanent

Lors de la réunion du comité permanent de la Convention de Berne, l’Union européenne défendra ainsi une position favorable à la demande d’abaissement du statut de protection du loup, et ce sans qu’aucun débat démocratique préalable n’ait pu avoir lieu.

Les deux tiers des voix des représentants des parties à la Convention, soit 34 voix, seront nécessaires pour que la proposition d’amendement soit adoptée, étant précisé que l’Union européenne en a 27. La modification entrera en vigueur trois mois après son adoption, sauf si un tiers des parties (17 voix) s’y oppose formellement dans ce délai. Dans un tel cas, la proposition adoptée n’entrera pas en vigueur. Si une proportion inférieure au tiers des parties s’oppose à la modification, celle-ci n’entrera en vigueur qu’au sein des Etats qui ne s’y sont pas opposés.

Si cette décision est adoptée, elle ouvrira la voie à un processus législatif de modification de la Directive « Habitats » puis des réglementations nationales.

Protection du loup: l’enquête de l’Ombudsman

Face à ce qu’elle estime être un déni de démocratie et au défaut de données scientifiques soutenant cette proposition, l’ONG ClientEarth a saisi le médiateur européen. Cette saisine a donner lieu à l’ouverture d’une enquête le 28 octobre dernier.

La plainte de l’ONG soulève 1) le non-respect par la Commission de ses propres lignes directrices s’agissant de la consultation des parties prenantes, 2) le manque d’impartialité et d’objectivité de la Commission dans son communiqué de presse du 23 septembre 2023 et 3) le choix de ne pas recourir au processus législatif pour la proposition d’amendement des annexes de la Convention de Berne au nom de l’Union européenne.

Le principe de cette saisine repose sur l’article 228 du TFUE, lequel permet à tout citoyen de l’Union de formuler une plainte devant le médiateur européen, également appelé Ombudsman, relative à une mauvaise administration des institutions, organismes et organes de l’Union européenne.

L’Ombudsman a le pouvoir d’enquêter sur les faits relatés dans la plainte. Lorsqu’il estime que les faits paraissent caractérisés, il interroge l’institution en cause afin d’obtenir son avis dans un délai de trois mois. Les institutions, organismes et organes de l’UE se voient contraints de lui fournir « toute information […] aux fins d’une enquête » (Règlement 2021/1163, considérant 19).

A l’issue de son enquête, le Médiateur élabore un rapport transmis au Parlement européen ainsi qu’à l’institution visée par la plainte.

Prioritairement, le médiateur va rechercher à proposer une solution à l’institution concernée « afin de remédier au cas de mauvaise administration ». Il peut également formuler des recommandations auxquelles l’institution pourra répondre en précisant la manière envisagée pour les mettre en œuvre.

L’Ombudsman n’a donc pas le pouvoir de contraindre l’institution. Ses recommandations ont pour autant et nécessairement un impact politique.

S’agissant de la plainte de ClientEarth, l’Ombudsman européen Emily O’Reilly a requis de la Commission des précisions quant aux sources scientifiques sur lesquelles elle a indiqué se fonder dans son communiqué de presse de septembre 2023. Elle a également sollicité des explications quant aux motifs l’ayant conduite à ne pas respecter les lignes directrices relatives à la consultation des parties prenantes avant la publication de ce même communiqué.

L’issue de l’enquête de l’Ombudsman, si elle conforte les éléments contenus dans la plainte de Clientearth, sera susceptible d’influer sur les décisions que prendra le parlement européen en réaction à la décision du comité permanent de la Convention de Berne sur le statut du loup :

  • soit le comité permanent adopte la décision visant à amender les annexes de la Convention selon la demande de la Commission et, dans ce cas, la conclusion de l’enquête du médiateur européen devra nécessairement être prise en considération lors du vote au Parlement relatif à la potentielle modification de la Directive « Habitats » en conséquence ;
  • soit le comité permanent de la Convention de Berne n’adopte pas la décision visant à amender les annexes de la Convention, ou un tiers des parties à la Convention s’y oppose par la suite. Les conclusions de l’enquête seront en ce cas un camouflet supplémentaire à l’encontre de la stratégie visant à remettre en cause la protection du loup.

En novembre 2023, un sondage a été mené auprès de 10.000 habitants de zones rurales de 10 États membres pour appréhender leur perception à l’égard des grands carnivores. Ses résultats contredisent les affirmations de la Commission européenne sur la perception du loup en Europe : 68% des personnes interrogées se sont montrées favorables au maintien du statut de protection stricte du loup, 65% chez les éleveurs.

Il existe donc un consensus large en faveur de la protection stricte du loup en Union européenne, y compris au sein du secteur d’activité régulièrement cité comme souhaitant le remettre en cause.

La motivation derrière la stratégie de la Commission européenne interroge donc davantage au fur et à mesure de la procédure engagée. De quoi attendre avec une curiosité certaine l’issue de l’enquête de la médiatrice.

Cet article sera mis à jour au fur et à mesure des évolutions sur le sujet.

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