Après s’être auto-saisi sur le sujet, le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) a publié le 19 juin 2024 un avis relatif à « La politique de déploiement du photovoltaïque et ses impacts sur la biodiversité »
Cet avis intervient dans un contexte de réformes à répétition, allant vers une priorité donnée au déploiement des énergies dites renouvelables (« ENR »), production photovoltaïque comprise. Elle se traduit notamment par une présomption, pour les projets de ce type et sous quelques conditions, de réponse à « une raison impérative d’intérêt public majeur », ou « RIIPM »[1]. Une telle qualification est loin d’être anodine en ce qu’elle est directement liée à la possibilité de porter volontairement atteinte à un ou plusieurs spécimens appartenant à une espèce de faune ou flore protégée et/ou à leurs habitats.
En effet, si une telle atteinte est en principe prohibée, l’article L.411-2 du code de l’environnement permet au porteur d’un projet souhaitant contrevenir à cette protection d’obtenir une dérogation. Délivrée dans la plupart des situations par le préfet de département, cette dérogation dite « espèces protégées » doit toutefois vérifier respecter plusieurs conditions :
- L’absence d’alternative satisfaisante au projet en cause,
- ne pas nuire « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »,
- poursuivre l’un des objectifs limitativement listés par l’article, dont notamment « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur ».
On comprend que la présomption récemment accordée aux installations de production d’ENR facilite leur obtention d’une dérogation espèces protégées. Elle permet de considérer que, sauf démonstration contraire, un tel projet remplit la condition de RIIPM posée par l’article L.411-2 précité.
C’est dans ce contexte défavorable à l’analyse des impacts des projets ENR sur les espèces protégées qu’intervient l’avis du CNPN.
Il sera immédiatement précisé que le Conseil reconnait dès les premières lignes de son avis le caractère majeur de la transition vers la neutralité carbone. A la suite du GIEC et de l’IPBES, le CNPN rappelle la nécessité de « considérer ces deux enjeux « de pair » et avec la même ambition ».
Il précise toutefois l’impact potentiel massif du déploiement des ENR sur les espèces protégées, en ce que 20% des demandes de dérogations proviennent de tels projets. La consommation nécessaire à l’installation des centrales photovoltaïques implique qu’elles fassent l’objet d’une attention particulière.
Dans l’optique de mettre en œuvre les normes juridiques de protection de la biodiversité, dont notamment le principe d’absence de perte nette, la CNPN propose plusieurs recommandations ainsi qu’un bilan de la situation actuelle.
La priorité accordée aux projets de déploiement des ENR
Bien qu’il reconnaisse l’intérêt du déploiement toujours croissant des centrales PV en France, le CNPN constate le manque quasi-total d’encadrement de cette avalanche de projets.
Le possible emballement actuel est tout d’abord dû à la baisse des effectifs du Ministère de la transition écologique. Le Conseil constate une difficulté croissante de l’administration à instruire les dossiers de demande de dérogations espèces protégées. L’analyse de la suffisance des évaluations environnementales des projets aboutie, dans 25% des cas, sur un avis favorable implicite du fait de l’atteinte du délai maximal d’instruction. Il est raisonnable de penser qu’au sein de ce quart des évaluations considérées faute de temps comme suffisantes, une part substantielle n’a probablement pas été analysée.
Plus encore, le CNPN rappelle qu’il n’existe aucun outil de synthèse des connaissances actuelles relatives au suivi et de planification du déploiement des ENR. Aucun suivi des surfaces de forêts accueillant une centrale PV n’est réalisé, ni de recensement des surfaces artificialisées disponibles, pas plus qu’une évaluation des effets cumulés liés à la multiplication des projets.
Pourtant, l’instance scientifique fait d’ores et déjà état de nombreuses incidences négatives pour la biodiversité :
« En détruisant les écosystèmes préexistants, ces centrales engendrent une perte d’habitat de nidification et d’alimentation pour les oiseaux ; la disparition d’arbres utilisés par les chauves-souris pour se reproduire, hiberner ou chasser ; un appauvrissement de la flore – tant en quantité qu’en diversité – et des insectes polinisateurs qui y sont associés ; la mortalité de la petite faune qui s’y trouve lors des travaux, en particulier les reptiles et les amphibiens en phase terrestre. Les panneaux photovoltaïques peuvent également constituer un piège pour les insectes polarotactiques qui viennent y pondre ou s’y poser, et peuvent engendrer des collisions avec les oiseaux et les chiroptères ».
CNPN, Autosaisine relative à la politique de déploiement du photovoltaïque et ses impacts sur la biodiversité, page 9.
La multiplication des projets induit mécaniquement un accroissement et une diversification de ces impacts. Le CNPN déplore alors que, malgré les avis défavorables des instances scientifiques pour deux tiers des projets, la « quasi-intégralité » d’entre eux soit in fine autorisée en l’état.
Sur ce constat, le Conseil formule plusieurs recommandations de nature à orienter l’installation de centrales PV afin que, sans freiner leur essor, leurs conséquences écologiques soient mieux contrôlées.
Les recommandations pour allier transition énergétique et sauvegarde de la biodiversité
Parmi les 21 pistes suggérées, seront notamment citées celles relatives à l’inventaire des plans d’eau pouvant accueillir une centrale PV (n°4), la création d’un cadastre solaire des parkings (n°6), la clarification et unification des critères selon lesquels une dérogation espèces protégées doit être sollicitée ou non (n°11) ou encore une meilleure identification des zones éligibles à des mesures de compensation écologiques (n°14).
Ces mesures auraient le double avantage de guider les porteurs de projets afin que leurs installations soient peu impactantes pour la biodiversité, tout en leur offrant une plus grande sécurité juridique et économique.
Une autre série de recommandations tient aux conditions d’implantations des projets. Le CNPN interpelle sur :
- l’exclusion nécessaire des projets de centrales PV des aires protégées et des espaces semi-naturels, naturels et forestiers, afin de renforcer l’installation sur les parcelles artificialisées disponibles (n°1) ;
- la considération, souvent à tort, que certains espaces seraient dégradés malgré une qualité écologique retrouvée (anciennes carrières, friches industrielles, … n°2)
- l’importance d’imposer une proportion minimale d’installation sur bâtiment (n°5) et sur parkings (n°6) ;
- intégrer aux techniques proposées pour réduire les impacts écologiques d’une centrale les notions d’éco-voltaisme (n°13) ;
- renforcer l’attention portée sur le suivi standardisé des impacts d’une installation dans le temps (n°16).
Si ces recommandations peuvent servir de fondement à de nouvelles normes règlementaires, elles trouvent également leur place dans l’appréciation des conditions d’octroi d’une dérogation espèces protégées.
Rappelons que le premier critère posé par l’article L.411-2 du code de l’environnement à ce sujet tient à l’absence de solution alternative satisfaisante. Il implique par exemple le respect de la première recommandation de l’avis du Conseil, à savoir exclure les espaces protégés en faveur d’autres, dont le classement ne révèle pas un qualité écologique particulière.
Les recommandations du CNPN listées ci-dessus constituent ainsi des lignes directrices pertinentes pour guider les services instructeurs. L’avantage d’adopter ces critères objectifs serait double : accroitre la sécurité juridique des projets tout en équilibrant les intérêts en jeu. Peut-être trouveront-ils également leur place au sein des décisions jurisprudentielles régulièrement rendues en la matière. Pour peu que l’on considère, comme le CNPN, que relever les défis majeurs de notre temps implique que « la lutte contre le changement climatique, et la transition énergétique en particulier, ne [conduire pas] à accélérer le déclin de la biodiversité », on ne peut que le souhaiter.
[1] Code de l’énergie, article L.211-2-1.