C’est une grande nouvelle et une avancée majeure dans la lutte contre les algues vertes. Le Tribunal administratif de Rennes a reconnu, par un jugement du 18 juillet, le préjudice écologique provoqué par les marées vertes récurrentes dans la baie de Saint-Brieuc. Selon le Tribunal, seule une injonction du représentant de l’État à faire respecter des seuils « conformes aux préconisations scientifiques » d’azote à la mer permettra d’amorcer la réparation de ce dommage environnemental.
Il y a des jugements qui démontrent que le juge administratif sait se montrer à la hauteur des enjeux environnementaux actuels. Alors que l’association Sauvegarde du Trégor-Goëlo-Penthièvre passait les portes du cabinet en 2020 en décrivant ses observations de la dégradation importante des écosystèmes couverts par les algues vertes, le Tribunal administratif de Rennes a statué cet été 2023 sur l’action née de ce constat.
Le Tribunal a ainsi reconnu, sur la base des études scientifiques démontrant l’impact indéniable de l’eutrophisation sur les écosystèmes intertidaux, notamment benthiques, que « les atteintes portées à la biodiversité de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc par les amas persistants d’algues
vertes constituent un préjudice écologique, au sens des dispositions précitées de l’article 1247 du
code civil « .
Jusqu’à ce jour, si des carences de l’État dans la gestion des algues vertes avaient pu être reconnues par les juges administratifs, le préjudice en résultant n’avait jamais été caractérisé.
Quant aux causes de ce préjudice, la Tribunal administratif a maintenu sa position désormais historique sur le sujet. Seuls les flux d’azote à la mer représentent un critère à l’origine des marées vertes sur lequel il est possible d’agir. En s’abstenant de le faire, le représentant de l’État dans les Côtes d’Armor entretient sa carence fautive. Cette carence est d’autant plus caractérisée que le préfet des Côtes-d’Armor concentre les pouvoirs de contrôle des exploitations émettrices d’azote et le rôle d’autorité protectrice de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc, zone pourtant la plus fortement frappée par les marées vertes chaque année.
Toute reconnaissance d’un préjudice écologique pose la question de sa réparation.
C’est peut-être ici que le juge administratif rennais se montre le plus audacieux dans sa prise de conscience des enjeux liés à la prolifération des ulves bretonnes. Il tire les enseignements de l’expertise partagée réalisée en 2017 par le CNRS, l’INRA, l’IRSTEA et l’IFREMER sur le sujet en ordonnant en premier lieu de faire cesser l’apport excessif d’azote à la mer.
Les seuils administratifs, dont il a été démontré qu’ils n’apporteraient aucune amélioration, sont laissés de côté par le juge au profit des seuils « conformes aux préconisations scientifiques ». En effet, l’administration devra dorénavant prévoir « des prescriptions, applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement à l’origine des fuites d’azote dans le milieu naturel, propres à limiter l’apport azoté total dû aux engrais aux besoins des cultures afin de permettre une réduction effective du phénomène d’eutrophisation, selon des seuils conformes aux préconisations scientifiques, et de programmer un contrôle périodique de l’ensemble des exploitations agricoles situées sur le territoire de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc« .
L’administration a été enjointe de mettre en œuvre ces actions sous 4 mois, sans préjudice d’un éventuel appel.
En tant qu’avocats ayant le souci de la protection de la biodiversité, qui croient en la place de la science dans la préservation de l’environnement, il est difficile de cacher notre joie et notre fierté d’avoir contribué à une telle décision et d’avoir représenté l’association Sauvegarde du Trégor-Goëlo-Penthièvre, dont le président, Pierre-Marie Le Lay se bat depuis de très nombreuses années pour faire bouger les lignes.
(Crédit image : Colzu, via Wikicommons)